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Vieillir résilient, c’est possible !

La résilience, c’est la culture de l’épanouissement,
pas celle de la performance.

Boris Cyrulnik

La vieillesse n’est pas un naufrage !

Nous avons tendance à penser que les seniors, exposés aux épreuves – parfois aux accrocs – de la vieillesse, sont condamnés à décliner, à dépérir et à se lamenter indéfiniment. On connaît la phrase – trop répandue et trop souvent citée – du général de Gaulle : « La vieillesse est un naufrage. » Cette formule a le défaut d’enfermer l’avancée en âge dans le cercle vicieux d’une acceptation passive et dépréciative de la vieillesse.

Toute mon expérience me montre que cette conception du vieillissement non seulement doit être rejetée, mais qu’elle ne correspond pas à la réalité. En effet, cette longue étape de la vie qui commence dans la soixantaine et qui peut durer vingt, trente, et même quarante ans, connaît des rebondissements, des redémarrages, des péripéties inattendues qui en font une véritable aventure. La période COVID a par ailleurs montré de manière exemplaire les capacités de survie et de résilience des aînés qui, malgré les décès, la maladie et les restrictions – y compris les moments d’isolement –, ont su traverser cette épreuve avec panache et courage en affirmant haut et fort : « On a vécu pire ! » Tout cela prouve que la vieillesse est aussi le temps de l’adaptation, du changement, du renouvellement et du rebondissement : en un mot de la résilience.   

Le mot est lâché, que l’on rencontre un peu partout aujourd’hui, sans toujours très bien savoir ce qu’il signifie au juste : « Il faut se montrer résilient ! Comment devenir résilient ? Il n’a pas su faire preuve de résilience ! » Alors, ce mot, d’où vient-il et que signifie-t-il précisément ?

Historiquement, la psychologie française a emprunté le mot « résilience » à l’anglais qui, lui-même, l’avait tiré du mot latin : resiliens, lequel signifie « rebondissant » (du verbe resilire : rebondir). C’est le psychanalyste et neuropsychiatre français Boris Cyrulnik (né en 1937) qui l’a rendu populaire, à la fin des années nonante, en le définissant comme « la capacité à réussir à vivre et à se développer positivement, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative ». Autrement dit, et si je pense aux personnes âgées, c’est la capacité à rebondir après un traumatisme : une maladie, une perte, un deuil… 

J’aimerais m’arrêter un instant sur ce mot : « rebondir », qui est au cœur de la résilience. Là encore, il faut revenir au dictionnaire, qui dit que « rebondir, c’est connaître des développements nouveaux et surprenants après un arrêt momentané. » Cet arrêt momentané, c’est-à-dire le traumatisme, l’épreuve, un deuil, etc., n’est pas seulement accepté et surmonté ; il est l’occasion d’un rebondissement, d’un sursaut, d’un nouveau départ. Ainsi, la résilience comporte toujours trois moments : 1. l’épreuve, 2. son acceptation et son dépassement, 3. l’occasion d’un nouveau départ, d’une nouvelle chance. Ou encore, pour le dire en une phrase : la résilience est à la fois la capacité de résister à un traumatisme et celle de se reconstruire après lui.

L’avancée en âge est naturellement parsemée d’embûches, d’écueils, d’épreuves, de pertes multiples, avec comme horizon l’appréhension de l’approche inéluctable de la mort. Tous ces « traumatismes », pour reprendre la notion de Boris Cyrulnik, peuvent être l’occasion de faire preuve de résilience, c’est-à-dire de la capacité à les accepter, à les surmonter et à rebondir. 

Vous me direz peut-être que « c’est plus facile à dire qu’à faire » ! En quoi vous avez sans doute raison, et cela d’autant plus que la vieillesse peut nous imposer des épreuves si cruelles que l’idée même de résilience semble déplacée. Cela est vrai.

Mais, et je reviens à toute mon expérience de l’accompagnement des personnes âgées et de leurs proches, j’ai eu le plus souvent la chance de côtoyer des seniors qui ont su mettre en œuvre des formes très différentes, et parfois très étonnantes, de résilience. J’aimerais évoquer quelques-unes de ces attitudes résilientes, à la fois parce qu’elles sont des leçons de courage et de lucidité, mais aussi parce qu’elles peuvent être des modèles et des inspirations pour tout un chacun.  

1. Témoigner en se racontant : le désir de laisser des traces.

L’envie de laisser des traces, de s’établir plus durablement dans le souvenir de ceux qui nous survivront, est un sentiment tout naturel, et qui prend toute sa signification lorsque nous abordons « la dernière ligne droite » de notre existence, si vous me permettez cette image sportive. On veut raconter sa vie pour plusieurs raisons : d’abord pour lui donner un sens, mais aussi pour mieux la comprendre, pour se rendre compte que, malgré les épreuves et les obstacles, il a été possible de survivre et de rebondir, pour le plaisir enfin de voir sa vie comme une histoire, avec ses péripéties, ses épisodes, ses retournements de situation, ses dénouements… Lorsque nous entreprenons de faire le récit de notre propre vie, c’est tout un travail psychologique sur nous-même que nous effectuons, un travail de remémoration, de compréhension, d’approfondissement et d’expression de ce que nous avons été. Pour la plupart d’entre nous, c’est le plus souvent oralement, dans nos conversations, que nous racontons des morceaux de notre vie, à nos proches et à nos amis, à nos enfants, à nos petits-enfants. 

Pour quelques-uns, le récit de leur vie a pris une forme écrite et s’est concrétisé dans un livre. L’une des richesses de ces « récits de vie », c’est qu’ils sont des témoignages précieux pour les lecteurs, des « leçons de vie » enrichissantes. En voici quelques-uns qui m’ont particulièrement touchée.

Edith Bruck. C’est une femme d’origine hongroise, une survivante de la Shoah. Elle vient de publier, à 90 ans, Le Pain perdu, un livre dans lequel elle raconte son expérience des camps de la mort. À son âge, elle continue à penser qu’il est important de témoigner, surtout pour les nouvelles générations qui n’ont pas connu cette période. Un libraire de Payot-Lausanne écrit : « L’auteur porte un beau message d’amour et d’espoir quand tout est sombre et semble perdu. »

Jacques Franck est un médecin français, né en 1925, et qui, à 98 ans, continue à recevoir des patients dans son cabinet médical. Il a publié récemment L’Éloge de la vieillesse, un ouvrage dans lequel il relate de réjouissantes anecdotes à propos de ses patients âgés. « Les vieux, écrit-il sur la couverture de son livre, deviennent vivaces, remuants, revendicateurs. Ils exigent une place dans la société et ne se satisfont pas du rôle respectable de reliques… »

Elisabeth Gardner est née à Fribourg en 1933 ; elle est décédée en 2021. Elle avait 88 ans lorsque, avec la collaboration de Josiane Haas, elle a raconté sa vie dans un livre qui se lit comme un roman d’aventure : Je me souviens. Elle y évoque les années passées dans l’élevage de chevaux de son mari, en Irlande, ses ascensions dans l’Himalaya – « J’ai marché dans tout l’Himalaya, sauf au Bhoutan ! » –, le temps où elle exploitait une plantation de café au Kenya… La leçon de ce livre, je la vois dans ce moment où Elisabeth Gardner-Muheim, après avoir passé sa vie à explorer le monde, à enchaîner les voyages et les défis, prend le temps de s’arrêter et de se retourner sur son passé. Après le temps qui passe à toute vitesse, le récit de vie impose le temps immobile. Je suis très heureuse d’avoir eu l’occasion de devenir son amie et d’exposer, au Vide-poches, les photos qu’elle avait prises dans l’Himalaya.  

Jacques Eschmann. Jacques est un ami, il m’est donc d’autant plus agréable de parler de lui. Il est né à Delémont en 1947. Il avait 73 ans lorsque, se retournant sur toutes les années pendant lesquelles il n’a jamais cessé de s’engager pour la défense des opprimés et de la nature, il a raconté sa vie dans un livre-témoignage : Rouge et vert. Souvenirs d’un militant. Et aujourd’hui encore, à l’âge de 76 ans, il milite activement au sein de l’association des « Grands-parents pour le climat ». Dans sa belle préface, Jean-François Haas s’adresse aux jeunes lecteurs du livre de Jacques : « C’est à votre tour d’espérer – ne renoncez jamais à l’espérance – et de vous battre pour rendre le monde plus vivable pour tous ! »  

Philippe Érard. Philippe est aussi un ami, mais venant d’un tout autre horizon : il a été pendant toute sa vie un homme d’affaire, un dirigeant d’une grande entreprise au Venezuela. (J’admire, si vous me permettez, en passant, cette confidence personnelle, comment l’amitié est capable d’accueillir des personnes si différentes, et de les aimer pour leur authenticité et leur humanité, au-delà de leurs postures sociales !) Philippe est né en 1949. Après avoir mené sa carrière de chef d’entreprise en Amérique latine pendant plus de trente années, il est revenu vivre en Suisse avec son épouse, Suzanne. Lui aussi, considérant la longue histoire de ses pérégrinations et de ses tribulations au Venezuela, a eu envie de la raconter dans un livre dont le titre dit assez qu’elle est loin d’avoir été de tout repos : Assis sur un baril de poudre. « De la joie ; de la peine. De l’humour ; de la tristesse. Des émotions. Une aventure humaine. Avec, humblement, quelques leçons à tirer pour le Venezuela lui-même », écrit Philippe dans la présentation de son livre.  

Vicky Dubois. Avec les deux noms qui suivent, j’aborde des témoignages très différents, puisqu’ils viennent de personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Vicky Dubois avait 69 ans lorsqu’elle a publié Mémoire, ma petite mémoire. Alzheimer vu de l’intérieur. La dédicace en résume très bien le propos : « À tous mes amis, à tous ceux qui souffrent de la maladie d’Alzheimer, en leur disant qu’on peut encore vivre une belle vie. Même si on ne sait plus écrire, qu’on perd l’orthographe, même si on oublie des mots, qu’on ne sait plus calculer, qu’on oublie l’heure ou qu’on s’arrête au milieu d’une phrase et qu’on dit un mot à la place d’un autre. Tout cela ne fait rien, il y aura toujours quelqu’un pour vous aider. »

Eveleen Valadon. C’est à l’âge de 79 ans qu’elle a raconté l’expérience de la maladie dans Mes pensées sont des papillons, publié en 2017. Elle précise ses intentions dans la préface de son livre : « J’ai voulu écrire un livre pour montrer que je ne suis pas gâteuse, pour qu’on cesse de considérer les malades Alzheimer comme des gens un peu débiles, complètement fous, retombés en enfance. J’ai écrit ce livre pour cesser de faire comme si je n’étais pas malade et fuir le sentiment de honte qui m’envahit souvent depuis 2013, date à laquelle on m’a annoncé que j’étais atteinte. » 

Bien sûr, ces deux derniers exemples de témoignage sont très différents, mais je les ai ajoutés aux récits de vie précédents parce que, comme ces derniers, ils montrent que le fait de raconter sa vie, de la mettre en mots et en phrases, est déjà une forme de résilience, une manière de rebondir, que ce soit face à la maladie, ou face à la vieillesse. 

2. Militer, s’engager : le désir d’être utile.

J’ai toujours beaucoup d’admiration pour les personnes qui, après une longue carrière dédiée à des engagements sociaux ou politiques, et alors même qu’elles pourraient enfin se tourner vers une retraite au sens fort de ce terme, c’est-à-dire de repli sur soi, d’éloignement des tracas de ce monde, choisissent de continuer à militer dans des associations, à défendre les causes qui les touchent. C’est, face à la vieillesse qui montre le bout de son nez, une belle façon de rebondir.

Parmi les politiciens de notre pays, je retiendrai quelques personnalités admirables, comme Ruth Dreifuss, Gabrielle Nanchen, Catherine Menétrey-Savary, Pascal Couchepin, Pascal Corminboeuf, Jacques Eschmann. Des personnes qui me touchent d’autant plus qu’elles ont toutes eu la gentillesse de répondre à mon Questionnaire (Voir ici).

Il y a également les personnes qui, prenant conscience de leur état de senior, choisissent de s’engager dans des associations en faveur des personnes âgées. Je pense à tous ceux qui œuvrent au sein de l’association française Old’Up (Voir ici), laquelle organise des événements, des conférences, des formations à l’intention des seniors et publie des ouvrages consacrés aux thématiques de l’âge avancé. Parmi les dernières publications, je citerai l’excellent Comment l’esprit vient aux vieux. Penser et vivre un vieillissement durable, de Marie-Françoise Fuchs. Je mentionnerai également les ouvrages passionnants de Paule Giron, dont les titres disent assez l’humour avec lequel elle aborde ses sujets : Vieux et debout !Vieillesse oblige !La Mort, parlez-moi d’autre chose ! Sans oublier son tout dernier, paru en mars 2023 : Voyage au pays des nonas. « J’avoue que, plus je prends de l’âge, et plus vieillir m’étonne ! » écrit l’auteure, du sommet de ses 92 ans. 

En ce qui concerne la Suisse, il y a plusieurs associations très actives en faveur des retraités : je retiendrai, parmi les plus dynamiques : la Fédération Suisse des Retraités (Voir ici), le Conseil suisse des aînés (Voir ici), la Plateforme du réseau seniors Genève (Voir ici), et AVIVO Vaud (Voir ici). Je ne peux que recommander à mes lecteurs seniors d’aller jeter un œil sur leurs sites Internet.

Dans ma belle région, la Gruyère, j’ai plaisir à attirer l’attention sur EspaceSenior Bulle/La Tour (Voir ici), une initiative des seniors de cette commune qui, grâce au dynamisme et à la générosité de son comité et de ses bénévoles, propose nombre d’activités variées et de qualité.

Enfin, en ce qui concerne mon domaine de prédilection, la maladie d’Alzheimer, il importe de remarquer que, partout dans le monde, ce sont des proches aidants, des conjoints des malades qui ont créé les premiers groupes d’entraide, lesquels ont donné lieu par la suite à la fondation d’Associations Alzheimer dans un grand nombre de pays. J’ai souvent été frappé par le fait que des proches aidants âgés, après avoir soigné et accompagné leur malade pendant de nombreuses années, ont continué par la suite à transmettre leur savoir et leur expérience à ceux qui en avaient besoin.

Toutes ces formes d’engagement, je les vois comme autant de manières d’affronter la vieillesse, d’en surmonter ce qu’elle peut avoir de décourageant, voire de traumatisant, de « rebondir » pour en faire un « nouveau départ », une « nouvelle chance ». 

3. Créer : le désir de continuer à dire la beauté du monde

Pour tous ceux que j’appellerai les « créatifs » : les « artistes », au sens large – peintres, écrivains, musiciens… –, l’idée même de « prendre sa retraite » est une aberration ! Pour eux, « l’attitude résiliente » que je cherche à débusquer dans ce Propos va de soi : comment imaginer qu’un peintre, qu’un écrivain, qu’un compositeur se mette soudain à cesser de créer, sous prétexte que l’âge de la retraite a sonné ? Ce qui me plaît, chez les artistes âgés qui continuent à produire des œuvres, c’est l’exemple qu’il nous donne : que la vie ne s’arrête pas de chanter, de danser, de rayonner ! Quelle plus belle résilience ! On pourra lire ici mon Propos : Vieillesse et créativité.

Je commencerai par deux grands peintres dont j’ai déjà eu l’occasion de parler dans mes Propos : Renoir et Monet ont continué à peindre dans le grand âge, malgré des maladies chroniques handicapantes (arthrose déformante pour Renoir, cataracte pour Monet). Parmi les musiciens, je me plais toujours à évoquer le pianiste Arthur Rubinstein : à l’âge de 90 ans, il jouait encore en public, malgré sa double cataracte et sa macula qui, comme il le disait plaisamment, non seulement l’empêchaient de lire la partition, mais surtout de trouver le piano ! N’oublions pas, pour revenir en Suisse, le peintre Hans Erni, qui a continué à peindre et à dessiner bien au-delà de ses cent ans. Il est décédé à 106 ans.

Vous permettrez que je me fasse un peu plaisir en évoquant deux artistes que j’ai eu l’honneur d’exposer au Vide-poches et qui sont devenus des amis. Je pense à Guerino Paltenghi, né en 1935. Âgé aujourd’hui de 88 ans, il continue à peindre et à exposer ses tableaux. Il prépare actuellement une belle exposition qui se tiendra dans sa galerie de Château-d’Oex à partir du 5 août.

Quant à Claude Genoud, né en 1946, chaque jour que Dieu fait le retrouve dans son atelier ou dans la nature, le pinceau ou le crayon à la main, à continuer à nous enchanter par ses paysages d’ici ou d’ailleurs, par ses animaux saisis sur le vif…

Jean Winiger est né en 1945, c’est un véritable homme-orchestre : acteur, metteur en scène, écrivain. Comme acteur, il a joué les rôles de Molière, La Fontaine, Le Corbusier, l’abbé Bovet, le général Guisan, entre autres. En 2022, âgé de 77 ans, il a donné plus de vingt représentations de son dernier spectacle : La Lumière du désert. Charles de Foucauld. Un saint pour notre temps. Une pièce dont il a assumé la rédaction, la mise en scène et le rôle principal.

Terminons cette galerie d’artistes dans le grand âge par un ami très proche : Bertrand Baumann. Il est né à Bienne en 1941. En 2023, il publiera un cinquième livre : Trente-trois poèmes qui n’osent pas dire leur nom. Trente-trois poèmes autour des ombres et des lumières de la vieillesse. Vous pouvez lire ici un des poèmes de ce recueil !  

Ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Pour ma part, et c’est peut-être mon métier qui veut cela, lorsque je suis en présence d’une œuvre – que ce soit un livre, un poème, un tableau, une pièce de musique – dont je sais que l’auteur était très âgé lorsqu’il l’a conçue, je ne peux m’empêcher d’ajouter à l’admiration que j’éprouve pour l’œuvre celle pour le défi au temps qui passe qu’elle manifeste et la forme de résilience qu’elle incarne. 

4. Transmettre : le désir de partager son savoir et son expérience.

Pour beaucoup de seniors, le métier dans lequel ils se sont distingués, le domaine d’intérêt auquel ils ont voué leur temps, le savoir qu’ils ont acquis au cours des années, tout cela demeure une passion, bien au-delà de l’âge de la retraite. Avec l’âge, l’esprit de compétitivité, de productivité a disparu, pour laisser la place à l’envie de partager et de transmettre. Pour certains, ce sera tout simplement en refusant l’idée de retraite et en continuant à exercer leur activité ; pour d’autres en donnant des cours, des conférences, des formations à l’intention des plus jeunes générations. 

Là encore, je me contenterai de quelques exemples que je connais personnellement et qui représentent, dans mon esprit, des formes particulièrement réussies de résilience.

Tout le monde connaît Rosette Poletti, infirmière, psychothérapeute, formatrice et auteure. À 84 ans, elle continue à écrire ses chroniques dans Le Matin Dimanche, à donner des conférences qui rencontrent toujours le même succès et à proposer des formations. Pour moi qui la connaît un peu, comment imaginer Rosette Poletti à la retraite ? (Voir son site ici)

Léonard Gianadda est né en 1935. Aujourd’hui, du sommet de ses 88 ans, il continue à diriger la prestigieuse Fondation Pierre-Gianadda (Voir ici) et à exposer à Martigny les plus grands peintres de l’histoire de l’art, comme actuellement l’aquarelliste anglais William Turner (1775-1851). J’ai été particulièrement touchée lorsque, lui ayant envoyé mon Questionnaire, j’ai reçu, quelques jours plus tard, ses réponses accompagnées d’un message amical. 

Mon ami l’éditeur Michel Moret vient de fêter les 45 ans d’existence des Éditions de l’Aire (Voir ici). Âgé de 79 ans, il est toujours fidèle au poste, recevant chaque semaine des dizaines de manuscrits, accueillant ses écrivains dans son havre de la rue de l’Union à Vevey. Lui aussi, il m’est difficile de l’imaginer à la retraite ! 

Ake Gustafson, l’inventeur du système d’emballage de liquide – la brique de lait – Tetra Brik, vient de publier, à l’âge de 100 ans, son dernier ouvrage : Sur les entreprises, les entrepreneurs, les créateurs de produits et autres

En m’installant à La Tour-de-Trême, voilà bientôt deux ans, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que notre « voisin d’en face », René Dougoud, à 76 ans, continuait à explorer quotidiennement le monde des champignons, que ce soit sur les chemins et dans les sous-bois d’ici et d’ailleurs, ou dans de savants livres de mycologie. Il vient de publier : S’initier et se perfectionner à l’étude des discomycètes (juin 2023), un ouvrage érudit, « le premier entièrement dédié à la manière d’aborder l’étude de ces champignons aux couleurs et aux formes attrayantes », nous dit son préfacier.

Mentionnons un autre Fribourgeois bien connu, un herboriste, Claude Roggen, alias « Le Druide de Domdidier ». À 83 ans, il vient de publier Les Secrets du druide. Volume 2, dans lequel il vous explique les vertus thérapeutiques des plantes. 

Mon coup de cœur va à Germaine Cousin, qui a fêté en avril de cette année ses 98 ans. Herboriste et gardienne des recettes ancestrales, elle continue à donner des cours et des conférences partout en Suisse romande. Sa formule magique : « Je soigne la santé, et non la maladie ! » (Voir son site) Lorsque Germaine a accepté de répondre à mon Questionnaire, cela a été pour moi l’occasion de lui rendre une visite à Saint-Martin, au coeur du Val d’Hérens, autant dire au bout du monde !

5. Vivre une nouvelle histoire d’amour : le désir d’être encore heureux.

Bien des personnes, des veufs, des veuves ou des célibataires, se retrouvent seules au moment de la retraite. Tout ce temps libre qui leur échoit soudain leur fait ressentir plus lourdement encore le fardeau de la solitude. La plupart finissent par s’en accommoder, peuplent leur solitude par d’autres liens, sociaux et familiaux. Mais j’ai connu plusieurs retraités qui, refusant la perspective de plusieurs décennies de solitude, ont décidé de ne pas en rester là ; il a suffi de cette disposition – de cette disponibilité – du cœur et de l’esprit pour que le miracle se produise : une rencontre à une sortie de retraités, au cours d’une randonnée ou d’un repas organisés pour les seniors, et on se découvre des goûts communs, des « affinités électives », bref, de quoi avoir envie de se revoir… Je les rencontre de temps en temps, la main dans la main, le sourire sur les lèvres ; certains ont aménagé dans un logement commun, d’autres ont conservé chacun leur appartement, tous me disent avoir l’impression de renaître.

Ceux qui connaissent un peu le monde des EMS ont probablement été témoins des belles histoires d’amour qui peuvent y éclore, de ces rencontres qui offrent une dernière chance d’un peu de bonheur à un petit vieux et à une petite vieille qui sont ravis de faire encore, vaille que vaille, un bout de chemin ensemble… Il m’est même arrivé d’assister à un mariage célébré dans un EMS ; je n’oublierai jamais les sourires épanouis qui fleurissaient non seulement sur les visages des mariés, mais aussi sur ceux des proches et des amis venus là pour assister à un véritable conte de fée ! Les plus ébahis, c’étaient les enfants adultes de ce couple de vieillards ; il fallait les voir, incrédules, interloqués, mais finalement enchantés de voir leur vieux père pour les uns, leur vieille mère pour les autres, partir bras dessus bras dessous dans le couloir de l’EMS avec le nouvel élu de son cœur. On pourra lire mon Propos : L’amour en EMS. (Lire ici

Noëlle Châtelet, dans un magnifique roman, La Femme coquelicot, raconte un de ces « amours-surprises » du grand âge. « Grâce à ce roman léger comme un conte, un voile pudique se lève sur les passions tardives. Un regard nouveau sur la vieillesse. Un éloge inattendu de l’amour », nous dit l’éditeur dans la présentation de ce livre.

6. Savoir rire : le désir de prendre de la distance.

L’un des secrets d’une vieillesse sereine, c’est la capacité à s’observer soi-même et à observer le monde autour de soi à travers les lunettes de l’humour. Lorsqu’on avance en âge, il est inévitable de se heurter aux limites de notre corps, aux ralentissements de notre esprit, aux mille tracas de la vie quotidienne qui peuvent nous contrarier ou nous fâcher, aux manies de nos proches que nous trouvons de plus en plus agaçantes ; mais si l’on est capable de considérer tout cela avec humour, c’est-à-dire avec un peu de distance et de hauteur, mais aussi de bienveillance envers soi-même, voilà que tous ces contretemps nous semblent soudain beaucoup moins graves… J’irai même plus loin : j’ai bien souvent pensé, parlant avec des personnes très âgées qui me stupéfiaient par leur « forme olympique », que l’humour, la bonne humeur avec laquelle elles prenaient les choses de la vie, c’était sans doute là une grande part du secret de leur longévité et de leur bonne santé ! Plutôt que de me répéter, je renvoie mon lecteur à un précédent Propos : L’humour et la vieillesse. (Voir ici)  

Il me semble ne pas pouvoir mieux conclure ce Propos qu’en reprenant la fable que raconte Boris Cyrulnik dans un de ses livres :

En se rendant à Chartres, un voyageur voit sur la route un homme qui casse des cailloux à grands coups de masse. Son visage exprime le malheur et ses gestes, la rage. Le pèlerin s’arrête et lui demande : « Monsieur, que faites-vous ? Vous voyez bien, lui répond l’homme, dans cette chienne de vie, je n’ai trouvé que ce métier stupide et douloureux ! » 

Un peu plus loin, le voyageur aperçoit un autre homme qui, lui aussi, casse des cailloux, mais son visage est calme et ses gestes harmonieux. « Que faites-vous, monsieur ? lui demande le voyageur. Eh bien, je gagne ma vie grâce à ce métier fatigant, qui a l’avantage de se pratiquer en plein air ! » lui répond-il.

Plus loin, un troisième casseur de cailloux irradie de bonheur. Il sourit en abattant la masse et regarde avec plaisir les éclats de pierre. « Que faites-vous ? lui demande le pèlerin. Moi, répond cet homme, je bâtis une cathédrale ! »

Et si la résilience, c’était aussi la capacité à surmonter les épreuves par le regard empreint d’humour que l’on est capable de porter sur elles ?

Conclusion

On le voit, les manières d’aborder l’avancée en âge et ses épreuves en mettant toutes les chances de son côté sont multiples. Bien sûr, chacun aura la sienne, en fonction de son histoire, de sa personnalité, de son caractère, de sa situation, de son état de santé, de la nature des épreuves qui peut-être l’accablent déjà ; chacun doit l’inventer avec les moyens du bord, car aucune recette toute faite n’existe. Mais j’espère que les exemples que j’ai évoqués tout au long de ce Propos pourront éventuellement inspirer quelques réflexions, entrouvrir quelques chemins…