publié le 15.2.2023

Vieillir ensemble avec son enfant trisomique

La personne trisomique 21 ne doit pas être acceptée parce qu’elle est trisomique.
Elle doit être acceptée pour elle-même et pour ce qu’elle apporte.

R. Bonjean

Vieillir avec son enfant trisomique lui-même vieillissant est une expérience relativement nouvelle, dans la mesure où ce n’est que dans les dernières décennies que les trisomiques ont vu leur espérance de vie s’allonger jusqu’au seuil de la vieillesse. Cette situation inédite prend au dépourvu d’abord les parents âgés, puis tous ceux qui sont amenés à s’occuper du trisomique, proches ou soignants. Pour le moment cette situation n’a fait l’objet que de rares publications. 

Mais le plus simple est peut-être de vous raconter l’histoire de Babette, dont je tenterai ensuite de retirer quelques enseignements.  

L’histoire de Micheline et de Babette 

J’ai connu Babette – elle venait de fêter ses quarante ans – et ses parents il y a bien longtemps ; à l’époque, nous habitions le même quartier et je les voyais souvent partir en promenade le long de la rivière, Babette ne lâchant jamais les mains de ses deux parents. Aussi quelle surprise, l’autre jour, une vingtaine d’années plus tard, quand je l’ai croisée au milieu des résidents de l’EMS de la région où j’allais superviser l’équipe soignante ! « Marianna, mais toi aussi tu es là ? » s’est-elle écriée en accourant vers moi.

Babette est née en 1959. Elle est l’unique enfant de Micheline et Gilbert, un couple d’employés modestes. Peu de temps après sa naissance, les médecins ont annoncé aux parents que leur fille était mongole : « Profitez bien de son enfance, car elle ne vivra pas longtemps ! » En effet, dans les années 50, on donnait à peine plus de dix ans d’espérance de vie aux enfants atteints de ce qu’on appelle le syndrome de Down, ou la trisomie 21. Micheline et Gilbert étaient effondrés : c’était toute leur vie qui basculait en un moment. 

Renonçant à envisager la naissance d’un autre enfant, ils ont concentré toute leur affection maternelle et paternelle sur Babette. Elle était une enfant facile, tendre, câline, presque toujours joyeuse ; Micheline et Gilbert ont très vite ressenti pour elle un attachement si fort qu’il leur faisait presque oublier sa différence et ses handicaps. Bien sûr, c’est avec beaucoup de retard que Babette a fait l’apprentissage de la marche, de la parole et de la propreté, mais elle a fini par y arriver, à la satisfaction de tous.

Comme presque toutes les mamans d’enfants vivant avec un handicap de naissance, Micheline se sentait coupable d’avoir mis au monde une fille différente. C’est le sentiment d’être la cause du drame qui était tombée sur sa famille qui lui a enlevé toute envie d’avoir d’autres enfants.

Les parents de Babette ont tout fait pour qu’elle ait une enfance heureuse ; ils la protégeaient des moqueries des enfants du quartier qui, impitoyables comme le sont souvent les enfants, la traitaient de mongole, gogole, débile, arriérée, triso… Lorsque le moment d’aller à l’école est arrivé, il était évident que Babette devrait fréquenter une classe pour enfants handicapés mentaux. Avec peine, elle a appris à lire et à écrire, mais il était clair qu’elle ne parviendrait jamais à une complète autonomie. Et c’est ainsi qu’elle a vécu comme une enfant auprès de ses parents jusqu’à l’âge de vingt ans : elle avait pris des habitudes qu’il devenait impossible de changer, comme celle d’aller chaque jour voir passer le train de 17h20 au bord de la voie de chemin de fer voisine. 

Babette allait avoir vingt et un ans lorsqu’elle a commencé à fréquenter, trois fois par semaine, un atelier occupationnel pour personnes atteintes de déficience intellectuelle. Elle effectuait avec plaisir les petits travaux de bricolage qu’on lui demandait, elle aimait dessiner, et les années ont passé dans une relative harmonie.

C’est un peu après la quarantaine que Babette a donné les premiers signes de ralentissement et d’apathie. Les gestes quotidiens lui devenaient plus difficiles, elle était plus facilement fatiguée, et de plus en plus de petites manies et de rituels occupaient une partie de son temps : comme d’écouter et de fredonner toujours les mêmes chansons, de ranger dans un certain ordre des figurines quelle trouvait dans les Kinder Surprise. C’est à cette époque que, fraîchement installée dans le quartier, j’ai fait connaissance avec Babette et ses parents.

Autour de la cinquantaine, Babette rechignait de plus en plus à aller à l’atelier, disant que c’était trop difficile, qu’on lui faisait des reproches sur son travail, que le trajet jusqu’à l’atelier, qu’elle faisait à pied, était trop fatigant ; si bien que ses parents ont fini par la retirer de l’atelier. Son comportement aussi changeait : elle devenait irritable, taciturne, entêtée, et ses rituels devenaient de plus en plus obsessionnels.

Mais la vie continuait, routinière, ronronnante, avec le train de 17h20 à aller regarder passer et les chansons ressassées à longueur de journée. Tout compte fait, disaient Micheline et Gilbert, et cela malgré le travail supplémentaire qu’occasionnait l’entretien de leur fille, c’était une vie assez tranquille. De temps en temps, ils repensaient aux prévisions du médecin à la naissance de Babette, qui ne devait pas vivre au-delà de ses dix, douze ans ! Et elle avait dépassé la cinquantaine !

Le drame s’est abattu brutalement sur la petite famille en 2012, lorsque le père, Gilbert, est soudainement décédé d’une crise cardiaque. Il avait 75 ans. Micheline en avait 71 et Babette 53. Micheline et sa fille étaient inconsolables. La disparition du père a contribué à resserrer les liens qui attachaient Micheline et Babette : celle-ci ne quittait plus sa mère d’un pas tout au long de la journée. Et bien sûr le duo vivait de plus en plus replié sur lui-même, ne sortait plus de la maison, sauf pour le train de 17h20. Presque plus personne ne venait les trouver. Micheline assumait seule tous les travaux de la maison et du ménage.

Ce qui devait arriver arriva : Micheline avançait en âge, elle avait dépassé la huitantaine, elle était de plus en plus fatiguée, elle commençait à avoir des pépins de santé sérieux. Quand on les voyait marcher sur le chemin pour aller faire leurs courses, on aurait dit deux petites vieilles du même âge qui se déplaçaient avec peine, sans qu’on puisse dire laquelle soutenait l’autre. Car Babette vieillissait prématurément, comme cela se produit habituellement chez les personnes trisomiques. Elle était de plus en plus sourde et malvoyante, avec des problèmes de surpoids et des douleurs aux articulations. Elle avait besoin de l’aide de sa mère pour tous les actes de la vie quotidienne.

Micheline, qui sentait bien que ses forces diminuaient, s’est confiée un jour à son médecin de famille : « Qu’est-ce qui se passera avec ma fille quand je ne serai plus là ? » Le bon médecin avait déjà eu plusieurs fois l’occasion de suggérer à Micheline qu’il faudrait peut-être penser à placer Babette dans un foyer pour handicapés, que ce serait la meilleure solution, non seulement pour Babette, mais aussi pour elle. Mais Micheline ne pouvait pas se résoudre à se séparer de sa fille. Depuis son veuvage, elle redoutait plus que tout de se retrouver seule, et puis, concluait-elle : « Ma fille et moi, nous sommes devenues inséparables, vous comprenez ! » 

À force de marcher à l’abîme, on finit par l’atteindre. C’est ce qui s’est produit lorsque l’état de santé de Micheline s’est brusquement dégradé et qu’elle a dû être hospitalisée. Dans l’urgence, la sœur aînée de Micheline, âgée de 86 ans, a pris Babette chez elle, mais elle a bien vite constaté qu’elle n’avait pas la force d’assumer tous les soins que réclamait l’état de santé de Babette, laquelle s’était complètement effondrée à la suite de l’hospitalisation de sa mère. Quelque temps après, Micheline est décédée à l’hôpital, elle avait 82 ans, et Babette 64. Pour Babette, il ne restait plus qu’une solution : le placement en EMS, qui s’est réalisé peu après.

C’est cette Babette que j’ai retrouvée à ma grande surprise, comme je le racontais au début de ce Propos. Il y avait plus de vingt ans que je ne l’avais pas revue. Elle m’a tout de suite reconnue et elle semblait heureuse de me revoir, même si je n’ai pas pu avoir une vraie conversation avec elle, en raison de sa surdité et de son affaiblissement mental. Un peu plus tard, une soignante m’a glissé à l’oreille que Babette avait beaucoup de peine à s’intégrer à l’EMS, qu’elle refusait les soins et les animations et passait sa journée dans sa chambre à répéter les mêmes gestes, à ressasser les mêmes chansons et à parler de « sa maman qui était partie ». 

Les soignants restent embarrassés devant le cas de Babette. C’est la première fois qu’ils accueillent une personne trisomique dans l’EMS.

Avant de voir les leçons que l’on peut retirer de l’histoire de Babette, disons quelques mots de la trisomie 21.

Qu’est-ce que la trisomie 21 ou le syndrome de Down ?

Le syndrome de Down doit son nom au médecin anglais John Langdon Down, qui publia en 1866 la première description scientifique de personnes atteintes de ce retard mental.

Comme les personnes atteintes de ces symptômes présentent des traits caractéristiques de la physionomie des Mongols, c’est-à-dire une tête plutôt petite, un visage rond et aplati, des yeux bridés et écartés, on a longtemps désigné familièrement cette maladie comme « l’idiotie mongoloïde » ou « le mongolisme ». Aujourd’hui, même si cette appellation persiste encore çà et là, elle n’est plus acceptable. Elle est d’ailleurs considérée comme plutôt péjorative.

En 1958, le médecin français Jérôme Lejeune a identifié la cause du syndrome de Down : à savoir un chromosome supplémentaire sur la 21ème paire de chromosomes. Pour la première fois, un lien était établi entre un retard mental et une anomalie chromosomique. La trisomie 21 est la cause génétique la plus fréquente du retard mental chez un enfant.

La trisomie 21 est donc une anomalie congénitale, une erreur génétique qui ne survient qu’au moment de la gestation ; elle n’est donc pas héréditaire et ne peut être attribuée ni à la mère ni au père, ce qui supprime toute idée de culpabilité de l’un ou l’autre des parents. 

Quelques chiffres, afin de donner une idée de l’ampleur de cette maladie dans notre société occidentale : d’une manière générale et en moyenne, on compte un enfant trisomique pour 800 naissances. Ce chiffre varie en fonction de l’âge de la mère, les risques restant plus élevés en-dessous de 20 ans et au-delà de 35 ans, où la fréquence est de 3 pour 1’000 naissances. Il peut atteindre un risque de 10 pour 1’000 à 40 ans et de 29 pour 1’000 à 45 ans (www.t21.ch).

Les capacités intellectuelles des personnes trisomiques varient d’un individu à l’autre : cela peut aller d’une déficience intellectuelle légère chez les moins atteints à une déficience intellectuelle profonde chez les plus gravement touchés. De manière générale, le niveau intellectuel des personnes atteintes de trisomie 21 varie entre un QI (Quotient Intellectuel) de 30 à 35 pour les plus touchés et un QI de 65 à 70 pour les moins atteints (le QI de la majorité d’entre nous se situe entre 85 et 115). Dans le cas de Babette, qui est capable de lire et d’écrire, on peut penser que son QI se situe autour de 65.

Chaque enfant trisomique est donc un cas singulier dont il est important d’observer et d’identifier le niveau d’atteinte afin de connaître ses capacités et ses difficultés ; c’est ce qui permettra l’accompagnement le plus adapté.

J’ai déjà parlé des difficultés d’apprentissage que rencontre la personne trisomique ; à quoi il faut ajouter des problèmes de santé et des anomalies physiques. La trisomie 21 peut augmenter la fréquence de certaines pathologies : problèmes infectieux et ORL (otites, surdité), troubles de la vision (myopie, astigmatisme, hypermétropie), problèmes endocriniens (hypothyroïdie, diabète), pathologies auto-immunes (intolérance au gluten), reflux gastro-oesophagien, syndrome d’apnée du sommeil, « laxité articulaire » (les articulations sont trop souples), risque augmenté de luxation (rotule, charnière cervico-cervicale), problème cardiaque, épilepsie.

Il faut être attentif également à la sphère oro-faciale des personnes trisomiques : elles ont souvent un nez plus petit, une langue plus grande, des dents en mauvais état, d’où la nécessité d’une bonne hygiène bucco-dentaire. Si la personne a perdu ses dents et ne mastiquent plus suffisamment, la présence de « bouchons de cérumen » dans l’oreille devient plus fréquente et augmente le risque de malentendance (rappelons que c’est la mastication qui, par le mouvement des mâchoires, empêche l’accumulation de cérumen dans l’oreille). 

Dans la majorité des cas, les pathologies ou les problèmes sensoriels du trisomique pourront bénéficier d’un traitement ou d’un appareillage (lunettes, appareil dentaire, appareil auditif) qui améliore grandement la qualité de vie. Notons enfin que toutes les personnes avec trisomie 21 ne développent pas l’ensemble de ces pathologies. Comme je le disais, chaque cas est singulier.

Trisomie et Alzheimer

Parmi les maladies qui touchent plus fréquemment et plus précocement la personne trisomique qui avance en âge, il faut mentionner les troubles cognitifs en lien avec la maladie d’Alzheimer. Les changements de comportement et de personnalité sont les premiers signes d’Alzheimer chez une personne trisomique (empathie amoindrie, repli sur soi, régression, instabilité émotionnelle, irritabilité, multiplication des comportements obsessionnels, apathie, ralentissement) ; l’apparition de crises d’épilepsie peut aussi être un signe avant-coureur de la maladie d’Alzheimer.

Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer chez les trisomiques est rendu plus difficile en raison de la déficience intellectuelle préexistante. Idéalement, on devrait effectuer une évaluation des capacités cognitives chez les trisomiques entre 30 et 40 ans ; cette évaluation servira de base de référence pour les examens ultérieurs, lorsque la personne vieillissante subira les premières diminutions de ses capacités cognitives et de ses compétences dans la gestion de la vie quotidienne.

Selon les dernières études européennes, plus de 70 % des personnes atteintes de trisomie 21 connaissent un fort déclin cognitif au-delà de 60 ans. C’est à ce moment-là que les institutions qui les accueillent doivent être à même de leur offrir un accompagnement adapté à leurs besoins et à leurs difficultés spécifiques. 

Les leçons de l’histoire de Babette

Contrairement aux enfants « normaux » qui, lorsqu’ils atteignent l’âge adulte et terminent leurs formations, quittent le nid familial pour voler de leurs propres ailes, les enfants trisomiques restent la plus grande partie, si ce n’est toute leur vie dans la dépendance de leurs parents. Qui n’a pas rencontré de ces parents retraités accompagnant leur « grand enfant » trisomique en promenade, parfois lui tenant la main comme à un petit enfant ? Naguère, cette situation était assez rare parce que l’enfant trisomique mourait relativement jeune – à Babette, on l’a vu, son médecin prédisait une douzaine d’années à vivre – mais aujourd’hui, avec le vieillissement démographique, il est de plus en plus fréquent de voir des parents arrivant dans le grand âge pendant que leur enfant trisomique, qui a vieilli plus vite en raison de sa maladie, semble avoir le même âge qu’eux, et parfois se retrouve avec eux dans le même EMS. 

Mais revenons à Babette et à sa maman, Micheline. Quelles leçons pouvons-nous retirer de leur histoire ?

Commençons par la fin : il semble, et j’ai pu encore le vérifier récemment, que Babette soit très malheureuse dans son EMS, et ce n’est pas que les soins qu’on lui prodigue ou que la compétence et le dévouement des soignants soient à remettre en question ; au contraire, j’ai pu admirer la manière dont chacun faisait tout son possible pour Babette. Le problème, ici, c’est que Babette, tout au long de sa vie, est restée dans le giron familial ; adulte, et jusqu’à la soixantaine, elle a vécu près de ses parents d’abord, puis de sa mère, comme elle le faisait enfant et adolescente. La maladie de sa mère, qui a brutalement mis fin à cette proximité quasi-fusionnelle et qui a rendu le placement en EMS inévitable, a introduit dans sa vie une cassure qu’il lui est impossible de comprendre et de surmonter. Et il est douteux que les choses s’améliorent, d’autant moins que l’état de santé de Babette s’aggrave chaque jour, aggravation probablement accélérée par le désarroi dans lequel elle se débat.

Qu’a-t-il manqué à Babette, qui lui aurait évité ce dénouement catastrophique ? La chose semble assez évidente : dès qu’elle a atteint l’âge adulte, il aurait fallu progressivement l’intégrer dans des structures d’accueil, des ateliers occupationnels (elle l’a été, mais trop peu et trop brièvement), des foyers dans lesquels elle aurait appris à vivre avec d’autres personnes comme elle, à partager la vie d’une communauté, bref à se « socialiser ». Comme pour tous les enfants, Babette aurait dû pouvoir faire l’apprentissage de la vie avec autrui, des vacances avec ses pairs, d’une progressive indépendance à l’égard de ses parents, d’une autonomie peut être limitée, mais qui l’aurait familiarisée avec les changements de lieu et de milieu. Elle aurait peu à peu accepté que d’autres personnes que ses parents ou ses proches s’occupent d’elle. Placée un jour dans un EMS, nul doute que cette nouvelle expérience n’aurait présenté aucune difficulté pour elle et qu’elle se serait rapidement habituée à ces nouveaux compagnons et aux soignants qui s’occupaient d’elle. 

Arrêtons-nous un moment sur le cas de la mère, Micheline. Avec Babette, elle n’a pas connu le sort habituel des parents qui voient un jour leurs enfants quitter le nid familial. Son rôle de mère et d’éducatrice ne s’est pour ainsi dire jamais arrêtés. Et lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec sa fille, après le décès de son mari, Babette a tout naturellement été pour elle un rempart contre la solitude. C’est ce qui l’a empêchée de penser à l’avenir de sa fille, et au jour où celle-ci se retrouverait seule. Par ailleurs, hélas, Micheline n’a jamais recherché de l’aide et un soutien pour elle-même, assumant seule toutes les tâches. Micheline et Babette, repliées sur une vie à deux qui n’était certes pas sans harmonie, ont laissé passer les années, marchant vers le précipice les yeux fermés.

Quelques réflexions pour l’avenir

Une première remarque s’impose, si l’on considère l’évolution de la trisomie 21 dans les pays avancés : grâce au dépistage précoce, il est maintenant possible de détecter une trisomie chez l’embryon. Actuellement, sur dix couples qui ont bénéficié de ce dépistage prénatal, neuf d’entre eux ont opté pour l’interruption de grossesse, un seul couple choisissant de vivre avec son enfant trisomique. À titre d’exemple, dans un pays comme l’Islande, il n’y a quasiment plus de naissance d’enfants trisomiques. On pense donc que le nombre des enfants trisomiques aura tendance à se réduire dans l’avenir.

Cependant, cette tendance théorique est actuellement contredite par les chiffres ; en effet, en 2003, on comptait environ 72’000 personnes trisomiques en Suisse alors qu’on en dénombre aujourd’hui plus de 82’000. Comment comprendre ce paradoxe ? L’explication la plus simple, outre la durée de vie plus longue des trisomiques, tient à l’âge auquel les femmes enfantent : on sait que plus la mère est âgée, plus le risque d’avoir un enfant trisomique est grand ; et les statistiques montrent clairement que les femmes ont leurs enfants de plus en plus tard, donc avec de plus en plus de risques de concevoir un enfant trisomique. D’autres explications sont parfois avancées, non sans pertinence à mon avis. Comme le fait qu’une femme qui tombe enfin enceinte à quarante ans tient tellement à cette grossesse inespérée qu’elle évite tout examen de dépistage. Quant aux autres mamans, très jeunes ou moins jeunes, un trop grand nombre d’entre elles, par insouciance, crainte de l’examen, négligence, principes, oublie ou refuse de procéder à un dépistage. 

Face à cette augmentation du nombre des personnes trisomiques et à leur espérance de vie toujours plus grande, il est important que tout le monde – institutions, pouvoirs publics, soignants – ait à cœur de trouver les solutions qui permettront de proposer l’accompagnement le plus adapté à la situation et aux difficultés des personnes trisomiques avançant en âge. C’est ce qui est en train de se réaliser peu à peu chez nous, lorsque les institutions qui accueillent les trisomiques créent des unités spécialisées dans lesquelles les plus âgés, ceux qui souffrent des maladies handicapantes que j’ai énumérées plus haut, sont pris en soin par un personnel formé spécialement à cette intention.

Enfin, la société actuelle, de plus en plus soucieuse d’intégrer les personnes différentes, fait peu à peu leur place à celles qui vivent avec la trisomie 21. C’est ainsi que nous en voyons appelées à tenir des rôles dans des films ou à participer à des défilés de mode. L’affiche ci-contre formule cette volonté d’intégration de manière très touchante ; voici la traduction du texte qui l’accompagne : « J’ai des yeux rigolos, un rire contagieux, et je sais toujours quand tu as besoin d’un câlin. J’ai aussi le syndrome de Down. Cela fait partie de moi, mais ce n’est pas la définition de ce que je suis. » 

C’est une magnifique et émouvante démonstration de l’idée qui veut que l’on prenne chacun pour ce qu’il est, comme il est, avec ses limites et ses richesses, se refusant à toute généralisation abusive ou discrimination d’un autre âge.


Ceux qui s’intéressent à cette thématique pourront lire l’unique ouvrage en français qui lui est consacré et qui nous vient du Canada :

Aujourd’hui et demain. Un guide sur le vieillissement avec la trisomie 21, Société canadienne de la trisomie 21, 2019, 51 pages, téléchargeable sur : cdss.ca.