publié le 13.12.2022

Marcher n’est pas un sport

Marcher n’est pas un sport.

Le sport, c’est une question de techniques et de règles, de sports et de compétition, nécessitant tout un apprentissage : connaître les positions, incorporer les bons gestes. Et puis viennent, longtemps après, l’improvisation et le talent.

Le sport, ce sont des scores : quelle est ta place ? quel est ton temps ? quel résultat ? Toujours le même partage du vainqueur et du vaincu, comme à la guerre – il y a une parenté entre la guerre et le sport dont la guerre tire son honneur et le sport son déshonneur : du respect de l’adversaire à la haine de l’ennemi.

Le sport, c’est aussi évidemment le sens de l’endurance, le goût de l’effort, la discipline. Une équipe, un travail.

Mais c’est encore du matériel, des revues, des spectacles, un marché. Ce sont des performances. Le sport donne lieu à des cérémonies médiatiques immenses, où se pressent les consommateurs de marques et d’images. L’argent l’envahit pour vider les âmes, et la médecine pour construire des corps artificiels.

Marcher n’est pas un sport. Mettre un pied devant l’autre, c’est un jeu d’enfant. Pas de résultat, pas de chiffres quand on se rencontre : le marcheur dira quel chemin il a pris, sur quel sentier s’offre le plus beau paysage, la vue qu’on a depuis tel promontoire.

On a bien essayé pourtant de créer un nouveau marché d’accessoires : des chaussures révolutionnaires, des chaussettes incroyables, des sacs efficaces, des pantalons performants… On tente bien de faire entrer l’esprit du sport : on ne marche plus, on « fait un trek ». On vend des bâtons effilés qui font ressembler les marcheurs à des skieurs improbables. Mais cela ne va pas très loin. Ça ne peut pas aller loin.

La marche, on n’a rien trouver de mieux pour aller plus lentement. Pour marcher, il faut d’abord deux jambes. Le reste est vain. Aller plus vite ? Alors, ne marchez pas, faites autre chose : roulez, glissez, volez. Ne marchez pas. Et puis, marchant, il n’y a qu’une performance qui compte : l’intensité du ciel, l’éclat des paysages. Marcher n’est pas un sport.

Mais une fois debout, l’homme ne tient pas en place.

Frédéric Gros
Marcher, une philosophie
Editions Carnet Nord