Il ne se reconnaît plus sur les photographies. Il n’y reconnaît plus les siens. Quand on les lui nomme, il a les yeux brillants de joie, émerveillé de se découvrir des enfants comme s’ils venaient de naître.
*
Ce qu’il savait du monde et de lui-même est effacé par la maladie, comme par une éponge sur un tableau. Le tableau est grand, il est impossible de l’essuyer en une fois, mais de nombreuses phrases ont déjà disparu.
*
La maladie d’Alzheimer enlève ce que l’éducation a mis dans la personne et fait remonter le cœur en surface.
*
Le nom d’Alzheimer raisonne comme celui d’un savant fou et cruel.
*
Le nom d’Alzheimer permet aux médecins qui l’utilisent de croire qu’ils savent ce qu’ils font, même quand ils ne font rien.
*
Pour venir à toi j’écarte tous les noms de maladie, d’âge et de métier, comme on écarte un rideau de lamelles colorées en plastique, au seuil des maisons, l’été, jusqu’à te trouver dans la fraîcheur de ce seul nom qui ne ment pas : père.
*
L’arbre devant la fenêtre et les gens de la maison de long séjour ont la même présence pure – sans défense aucune devant ce qui leur arrive jour après jour, nuit après nuit.
*
Les fleurs des acacias, blanches et grêles, ont l’éclat d’un baiser d’enfant.
Quelques fleurs, vendangées par une pluie nocturne, sont tombées sur une table du jardin de la maison de long séjour.
Mon père les regarde.
Il a dans les yeux une lumière qui ne doit rien à la maladie et qu’il faudrait être un ange pour déchiffrer.
21 septembre 2021