publié le 1.5.2020

Mon EMS idéal !

Pour l’abbé Gilbert Perritaz*,
entré à l’EMS d’Humilimont le 1er avril 2010,
où il est décédé le 31 mars 2020.

 

Dans le cadre de mon activité professionnelle, je suis fréquemment amenée à me rendre dans des EMS de mon canton. J’y côtoie les soignants, les résidents et leurs proches, je les écoute, je m’entretiens avec eux. J’observe également : les lieux, les espaces d’accueil, les salles communes, les couloirs et les chambres. Et comme j’avance en âge moi aussi, il m’arrive parfois de me demander : « Et si un jour je devais aller dans un home, à quoi devrait ressembler l’EMS idéal où j’aimerais vivre ? »

* On relira avec plaisir le propos dans lequel l’abbé Perritaz témoignait, en octobre dernier, de ses dix années passées à l’EMS d’Humilimont. (Lire ici !)

Quelques chiffres pour commencer

Dans notre beau pays, sur 8,6 millions d’habitants, on compte 1,5 million de retraités, soit environ 18 % de la population. Et cette proportion va continuer à augmenter : on parle d’un retraité pour quatre habitants dans deux décennies. Sur ce million et demi de retraités, 450’000 d’entre eux (soit presque un sur trois) ont 80 ans et plus.

Le nombre de lits d’EMS disponibles actuellement en Suisse est d’environ 90’000. Un peu moins de 20’000 résidents ont entre 65 et 79 ans ; environ 70’000 ont 80 ans et plus. La durée moyenne du séjour est actuellement d’environ 2 ans. (Statistiques de 2019)

De l’hospice à la maison de retraite et à l’EMS

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il n’est peut-être pas inutile de dire quelques mots de l’évolution de ces établissements, disons depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Une évolution de l’institution qui va d’ailleurs de pair avec une évolution du vocabulaire qui la désigne.

Je ne m’attarderai pas sur les hospices de jadis, qui accueillaient les déshérités de la vieillesse : les sans famille, les esseulés, les plus pauvres, les vieilles filles et vieux garçons sans feu ni lieu, les domestiques… Nous avons tous eu l’occasion de nous attrister de ces photographies jaunies sur lesquelles on voit des petites vieilles et des petites vieux, assis sur un banc, l’air d’attendre que le temps s’arrête de passer…

Les hospices inspiraient une telle horreur que, dès les années cinquante, on les a remplacés par des maisons de retraite. La plupart du temps, c’étaient des maisons accueillantes – parfois de belles demeures anciennes – dans lesquelles on recevait les personnes âgées souffrant de maladies chroniques, les vieillards qui n’étaient plus capables de s’occuper d’eux-mêmes et de leur ménage, les veufs ou les veuves qui n’avaient plus personne pour prendre soin d’eux… Ces résidents recevaient des soins, on veillait à leur rendre la vie confortable, on s’occupait d’eux… La situation et l’état de ces résidents pouvaient comporter de grandes différences, du retraité en relative bonne santé au vieillard souffrant de nombreuses pathologies, dont la maladie d’Alzheimer, entre autres. Leur séjour à la maison de retraite pouvait durer plusieurs années. J’en ai personnellement connu plusieurs qui avaient dépassé les dix années de résidence.

Avec le vieillissement démographique, les choses ont évolué. Les résidents étaient de plus en plus âgés au moment de leur entrée en maison de retraite, ils souffraient de diverses pathologies somatiques et étaient souvent atteints de troubles cognitifs plus ou moins graves… Il devenait indispensable de médicaliser davantage les établissements, d’engager un personnel formé aux soins infirmiers. Le temps des EMS (Établissement Médico-Social) était venu. Nous étions au début des années huitante.

Depuis, la situation a continué à évoluer jusqu’à aujourd’hui. Le nombre des résidents est en constante augmentation, ils entrent souvent dans l’institution à un âge avancé (au-delà de 80 ans), dans un état de santé très altéré et avec une espérance de vie qui dépasse rarement les deux ans. L’on ne vient plus dans un EMS pour la retraite, mais pour la fin de vie. Il ne faut pas se cacher que l’EMS est lentement mais sûrement devenu un « lieu de soins palliatifs », cette notion de « soins palliatifs » devant être comprise dans sa signification large, c’est-à-dire comme « des soins englobant toutes les mesures visant à soulager la souffrance d’une personne atteinte d’une affection non guérissable et à lui assurer la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la fin ». Ces différentes évolutions ont conduit peu à peu à la nécessité de moderniser les EMS : meilleur encadrement médico-social, grande capacité d’accueil, service spécialisé dans l’accueil des personnes souffrant de troubles cognitifs, architecture « prothétique » (suppression des obstacles aux fauteuils roulants, portes automatiques, larges espaces pour la déambulation, salles de bains équipées pour les handicapés…).

Les ratés de la modernisation

Ce vieillissement démographique et l’augmentation du nombre des personnes âgées qui en découle ont pris de court les décideurs. Dans les réflexions sur les EMS de l’avenir, on a rarement mis à contribution les spécialistes du grand âge, on a trop souvent donné la priorité aux gestionnaires. Le plus souvent, les arguments économiques ont prévalu sur toute autre considération. Le résultat peut déjà s’observer ici et là ; on a construit de véritables « usines à soins pour vieux », privilégiant la grande taille au nom des économies d’échelle et la fonctionnalité qui permet de rationnaliser le travail de tous les employés. Les architectes s’en sont mêlés, eux aussi sans aucune connaissance des situations et des besoins réels des résidents âgés. Ils ont privilégié les matériaux froids (béton, métal), les lignes droites et les formes géométriques simplistes, le design moderne, les murs blancs, aseptisés, souvent sans aucune décoration, les larges baies vitrées qui livrent l’espace aux regards extérieurs et banissent toute idée d’intimité.

Malgré les slogans que les EMS mettent en avant : « Un lieu de vie, Vivre comme à la maison, Vous êtes chez vous… », malgré les noms plus ou moins poétiques dont ils se parent (Les Glycines, Les Quatre-Saisons, Les Gais pinsons, Le Soleil couchant…), il faut bien se rendre à la triste évidence : quelques EMS récents ressemblent de plus en plus à des hôpitaux. Comment ce petit vieux, cette vieille dame pourraient-ils « se sentir à la maison », « comme chez soi », dans un établissement où ils vont côtoyer jour après jour une centaine de vieillards en fauteuil roulant ou poussant leur déambulateur ? Et le malaise ne touche pas seulement le résident, mais également la famille ou les proches qui viennent lui rendre visite et qui repartent, le cœur serré d’abandonner un père ou une mère dans un lieu si peu familier.

Mais alors, me direz-vous, à quoi ressemblerait votre EMS idéal, celui dans lequel vous aimeriez aller vivre ?

Mon EMS idéal

Je dois commencer par dire que certains EMS que je connais, souvent d’ailleurs les plus anciens, ne sont pas très éloignés, dans leur conception et dans leur fonctionnement, de l’EMS idéal tel que je l’imagine. Mais ils sont hélas souvent menacés d’agrandissements intempestifs, quand ils ne sont pas en danger de disparaître au profit d’établissements plus grands, regroupant dans un même espace les résidents de deux ou trois petits EMS anciens. C’est la raison pour laquelle, face à cette évolution qui parfois me navre, j’ai eu envie de formuler quelques réflexions, issues de ma longue fréquentation des personnes âgées et des établissements dans lesquels elles séjournent, sur ce que pourrait être l’EMS idéal de demain, celui dans lequel je pourrais avoir envie de vivre mes derniers jours…

La taille. C’est peut-être le point essentiel ! Un EMS devrait toujours avoir quelque chose d’une maison familiale, d’une demeure où l’on vient pour vivre, et non d’un hôpital où l’on vient pour mourir. Dans l’idéal, il devrait compter une trentaine de résidents, répartis par dizaine ou douzaine – par unité ou service – dans chaque étage. C’est uniquement ainsi que l’on peut préserver une ambiance de petit groupe, voire de grande famille, permettre au résident de nouer des liens de proximité et de familiarité avec ses semblables, au lieu de lui donner l’impression d’être un numéro dans une collectivité anonyme et moribonde. Le petit nombre favorise aussi une plus grande familiarité avec les soignants qui, s’occupant d’une petite unité, sont plus proches des résidents, les connaissent mieux, et sont plus facilement reconnus par eux. En fin de compte, et quelle que soit la taille de l’EMS, c’est la distribution des résidents en petites unités qui me semble primordiale, c’est elle qui peut donner au résident le sentiment d’être un peu chez soi. La taille des EMS a encore un lien avec le mode de direction : on le voit de plus en plus, les nouveaux grands EMS ont à leur tête des managers qui assurent la gestion – financière, administrative – de l’établissement, le plus souvent sans connaître les résidents, et avec peu de contacts personnels avec eux, alors que les directeurs des EMS plus anciens, qui viennent souvent des soins – la plupart ont été infirmiers -, connaissent bien les besoins et les souhaits de leurs résidents, ne manquent jamais l’occasion de les écouter et de leur parler. En fin de compte, s’agissant de la taille des EMS, l’adage anglais me semble très juste et devrait figurer comme leitmotiv dans les cahiers des charges des futurs bâtisseurs : Small is beautiful ! que je traduirai en disant que « plus c’est petit, plus c’est beau ! »

La situation géographique. Je commencerai par une évidence : comme le rat de la fable de La Fontaine, il y a les EMS des villes et les EMS des champs. Ne serait-ce que pour ne pas dépayser d’emblée le résident âgé qui, citadin ou villageois, sera toujours heureux de se retrouver dans son décor, dans son univers habituel. D’autre part, l’EMS ne doit jamais se trouver à l’écart, dans un coin perdu, en marge de la vie sociale. Pour ma part, je privilégierais la proximité d’une école, d’une crèche, d’une place de jeu, d’un supermarché, d’un parc : tous ces lieux qui favorisent la proximité intergénérationnelle. (On bannira autant que possible les cimetières !!!) On évitera donc à tout prix de construire un EMS dans un coin perdu de la campagne (alléguant le charme bucolique du paysage) ou au fond d’une banlieue résidentielle (mettant en avant le calme et le silence). Ce dont une personne âgée a besoin, c’est d’avoir le sentiment de côtoyer des gens de tous âges, de se retrouver dans le tissu vivant de la société, de voir et d’entendre autour d’elle la rumeur des autres, des plus jeunes, des enfants…

Les espaces extérieurs. Ce que je viens d’écrire à propos de la situation géographique ne veut pas dire que la présence de la nature ne soit pas importante pour le résident âgé. L’EMS idéal devrait être situé à proximité d’un parc, ou au moins comporter un grand jardin dans lequel il est possible de se promener. Le mieux étant encore d’avoir accès à une véritable promenade dans la nature où le résident et ses proches pourront aller prendre l’air ensemble. À cet égard, un  exemple idéal me vient à l’esprit, c’est celui de l’EMS de Jeuss, dans le district du Lac. L’établissement, de taille moyenne, est entouré d’un côté par une grande ferme d’élevage, et de l’autre par un zoo où s’ébattent des kangourous, des sangliers, des cerfs, des autruches, quelques ânes… Et de tous les côtés partent des chemins de promenade, vers les champs, vers la belle forêt de Galm… Cet EMS pourrait servir de source d’inspiration à tous nos futurs bâtisseurs !

Les espaces intérieurs communs. Je veux parler ici des salles à manger, des salles de séjour, des couloirs et autres recoins ouverts à tous. Il ne faut jamais oublier que nous avons affaire à des personnes âgées, voire très âgées, qui, pour la plupart de celles qui résident dans un EMS au moment où j’écris, sont nées dans les années trente et quarante. Rares sont celles qui trouveront du plaisir à vivre dans un décor moderne. Elles seront souvent rebutées par les meubles design, les matières synthétiques ou froides, les murs en béton nu ou uniformément blancs, les grandes baies vitrées, les tableaux abstraits et criards. Rien de tout cela ne leur rappelle le monde dans lequel elles ont vécu auparavant. Non, ce qui les rassure et leur réchauffe le coeur, ce sont le bois, le cuir et le tissu, les éclairages chaleureux, les murs peints de couleurs chaudes, les sols en parquet ou recouverts de moquettes, les recoins où ils peuvent se mettre un moment à l’écart, les fenêtres qui ouvrent sur le monde extérieur sans les exposer au regard des autres… Aux murs, on accrochera des tableaux représentant des paysages, des scènes de la vie quotidienne, des personnages emblématiques, tout ce qui peut favoriser la rêverie, l’imagination, la réflexion, la remontée des souvenirs anciens. La salle à manger, qui ne devrait jamais être trop grande, pourra être ouverte sur la cuisine où les résidents sont à même d’entrevoir la préparation des repas, de suivre des yeux l’activité des cuisiniers, voire d’y prendre part, de humer les fumets des plats avant de les voir arriver sur la table, un peu comme autrefois à la maison. C’est bien autre chose que ces plateaux anonymes qui surgissent d’un passe-plat !

La chambre individuelle. C’est souvent là que le résident passe la plupart de son temps ; c’est là qu’il doit le plus possible retrouver l’ambiance dans laquelle il vivait avant de venir dans un EMS. Ce qui caractérise l’univers de la personne âgée, ce sont ses bibelots, les objets accumulés au cours de toute une vie, un vieux fauteuil, une commode ou une armoire, quelques photographies, un ou deux tableaux, quelques livres. Dans la mesure du possible, on meublera la chambre du résident avec les objets qu’il avait chez lui auparavant, on y aménagera un coin d’accueil pour recevoir les visites, on aura accès à un balcon. La chambre doit en quelque sorte concentrer, « récapituler » les éléments de la maison ou de l’appartement d’autrefois.

Les animaux. La présence, dans un EMS, d’un ou deux chats qui vont et viennent dans les espaces communs, d’un grand aquarium où virevoltent des poissons multicolores, d’une grande cage à oiseaux, est hautement thérapeutique. Et pourquoi pas, si l’établissement est à la campagne, un poulailler, un clapier, une volière, la proximité d’une ferme ? Bien sûr, et la question a souvent été débattue, la présence auprès d’un résident de son animal de compagnie – chien ou chat – est quasiment exclue. Mais, dans le cadre des activités d’animation et sous la surveillance de l’animateur, la présence d’un chien, d’un cheval, d’un lapin, d’un âne… peut se révéler bienfaisante, la relation avec les animaux comportant des vertus thérapeutiques bien connues (voir mon « Propos sur la ronronthérapie »).

La communication. On discute beaucoup des formes que doit prendre la communication entre les soignants et les résidents. Un principe s’impose : la communication doit avant tout être chaleureuse, authentique et respectueuse. Mais concrètement, une question précise revient souvent : comment les soignants doivent-ils s’adresser au résident ? La réponse presque générale donnée par les EMS est : dites Monsieur Fragnière, Madame Roulin… ! La première fois que j’ai observé cette manière de faire, je n’en croyais pas mes oreilles ! Revenons à un slogan fréquemment mis en avant par les EMS : « Vous êtes ici comme chez vous ! » Chez moi, personne ne m’appelle Madame Gawrysiak ! Le jour venu, je détesterais que mes soignants m’appellent ainsi chaque fois qu’ils s’adresseraient à moi. Non, j’aimerais qu’il m’appelle par mon prénom, Marianna, et il est possible que moi, à mon tour, et du haut de mes nonante-deux ans, je me laisse aller à les appeler : « Ma petite ! » ou bien encore « Mon garçon ! » Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de parler avec un résident d’un EMS, je l’appelle toujours par son prénom, mais en conservant le vouvoiement. Et je constate presque toujours que Madeleine, Jacques ou Élisabeth sont enchantés de cette familiarité pleine de bienveillance ! En outre, le jour où je me retrouverais en EMS, à côté des gestes techniques qu’imposent les soins, je ne me fâcherais pas d’un geste plus tendre, d’une caresse sur la joue, d’une accolade, d’un bisou de bonne nuit de la part de mes soignantes ou de mes soignants !

L’animation. Le souci des EMS d’offrir des activités à leurs résidents, de les occuper tout en leur permettant d’exercer leur cerveau ou d’entraîner leurs muscles et leurs articulations est sans doute une bonne chose. À condition toutefois que ces activités demeurent toujours libres. Le petit vieux ou la petite vieille qui n’en a pas envie ne trouvera qu’ennui et agacement à s’installer à une table pour jouer aux cartes ; celui ou celle qui préfère regarder les images des magazines ou les photographies de l’album de famille sera fâché qu’on lui impose de dessiner le sapin qui se trouve au fond du jardin  ou de colorier un mandala. La deuxième règle, après la liberté de participer, concerne le groupe auquel s’adresse l’animation. Là encore, plus c’est petit, mieux c’est ! L’idéal, c’est l’activité proposée à deux, trois, voire quatre résidents, mais pas plus. Chacun doit garder le sentiment d’être une personne à part entière, et non le « membre d’un groupe » que l’animateur interpelle ou sollicite dans des « tours de table » fastidieux. Les vieillards ont passé l’âge de retourner sur les bancs de l’école, d’être infantilisés dans des activités qui sentent leur école primaire, quand ce n’est pas l’école enfantine… Et lorsque cela est possible, c’est l’animation individualisée, en tête-à-tête, qui remporte le plus de succès.

Ma conclusion

Vous avez peut-être remarqué que j’aime bien, de temps en temps, synthétiser mes réflexions dans ce que j’appelle des Big Five, de les résumer dans une série de cinq principes essentiels. Voici donc mon Big Five de mon EMS idéal.

Une taille humaine. L’EMS idéal doit, autant que possible, tendre vers l’esprit d’une maison familiale, l’ambiance chaleureuse d’une fratrie. Cela ne veut pas dire qu’il doive nécessairement avoir la taille idéale que j’évoquais plus haut (une trentaine de résidents) ; ce qui est important, c’est que l’organisation de l’espace permette de créer, par exemple à chaque étage ou dans chaque aile du bâtiment, une petite unité d’une douzaine de résidents au maximum, chacune de ces unités comportant sa propre salle à manger. Dans les grands EMS d’aujourd’hui, c’est cette organisation de l’espace que les concepteurs et les architectes négligent complètement, faute de connaître et de comprendre les besoins des personnes âgées, ou de s’imaginer un instant à leur place.

Un environnement chaleureux. Il tient à beaucoup de facteurs : la taille, bien sûr, mais aussi les matériaux utilisés, les couleurs des murs, la décoration, les éclairages, la présence de recoins, le va-et-vient d’un ou deux chats débonnaires, les tableaux aux murs, les meubles de style ancien ; bref, tout ce qui peut rappeler l’ambiance et la chaleur de la maison ou de l’appartement que les résidents ont abandonnés le jour où ils sont entrés en institution. Un EMS, cela doit toujours ressembler à un lieu de vie, et non à un hôpital, à un ghetto ou à une « grosse machine » !

L’implication des proches. J’entends par là non seulement tout ce qui permet aux proches de venir rendre visite à leur parent le plus facilement possible (horaire, parking, espace de promenade, cafétéria…), mais aussi, et surtout, le lien étroit qui doit exister entre les soignants et les proches, la possibilité pour ceux-ci d’être consultés chaque fois qu’une décision importante doit être prise. Il ne m’échappe pas que cette collaboration étroite entre les soignants et les proches ne dépend pas seulement des premiers, mais qu’elle implique également que les proches fassent preuve de compréhension et de reconnaissance à l’égard des soignants et des tâches difficiles qu’ils assument avec un si grand dévouement.

Un personnel formé et compétent. Le fait que de plus en plus de résidents entrent à l’EMS en souffrant souvent de pathologies multiples, somatiques autant que cognitives, a pour conséquence que le personnel soignant devra être de plus en plus formé. La connaissance des pathologies et la compréhension de leurs manifestations et de leurs effets devront de plus en plus faire partie de la formation de base des soignants en EMS. Et ces connaissances devront être renouvelées et mises à jour régulièrement par des cours de formation continue. Face à la difficulté des tâches de mes amis les soignantes et les soignants, que je côtoie régulièrement dans le cadre de mon travail, je me sens très souvent indignée des maigres salaires qui leur sont alloués et du peu de considération sociale qu’ils reçoivent. Quand est-ce que nos responsables, à quelque niveau qu’ils se situent, comprendront que nos petits vieux et nos petites vieilles – vous avez compris que, pour moi, ces formules sont affectueuses – méritent que l’on reconnaisse à leur juste valeur le dévouement et la générosité des personnes qui s’occupent d’eux ?

Se réjouir de la fin. Non, je vous rassure, je ne veux pas dire par là que l’EMS idéal serait celui qui parviendrait à donner à ses résidents l’envie de se réjouir de la fin ! (Encore que !) En réalité, il s’agit du titre d’un petit livre d’Adrien Gygax (écrivain suisse né en 1989), paru cette année aux Éditions Grasset (102 pages). C’est un résident d’une maison de retraite qui nous raconte son histoire et ses bonheurs d’homme au crépuscule de la vie. Cet ouvrage est une petite merveille de finesse, de sensibilité, de délicatesse, d’humanité et d’intelligence. Une tendre méditation sur la vie, le temps et la nature.

Je ne saurais mieux faire, pour donner une conclusion lumineuse à ces réflexions sur mon EMS idéal, que de vous offrir les dernières lignes admirables de ce petit livre :

Je n’ai cessé, dans ma vie, de cueillir les joies partout où elles ont fleuri ; celles qui viennent avec la sensibilité du corps, celles qui ne sont atteignables que par l’agilité de l’esprit, celles qui se cachent derrière la douleur, celles qu’il faut saisir au vol, celles qu’il faut récolter dans la boue, celles qu’il faut arracher à quatre mains, celles qu’il faut sécher d’une pluie de larmes, et toutes les autres.

Ma vie est lourde de toutes ces joies et s’enfonce doucement dans le sol. C’est un sentiment fabuleux, une pesanteur follement agréable. La nature demande mon corps pour d’autres ouvrages et je n’ai rien à lui opposer, aucune force, aucune ambition, et bientôt plus aucun souffle.

Je suis prêt, m’efface délicatement derrière l’éclat d’une dernière joie : celle de voir ma vie se terminer. Je m’en réjouis comme j’ai dû me réjouir de voir ma vie commencer. Je m’en réjouis comme d’une évidence absolue, et parce que je suis enfin conscient et certain, là, maintenant, de la joie inouïe qu’est la vie.