Lire et vieillir

La lecture est une amitié.
Marcel Proust
Nous vivons une drôle d’époque, dans laquelle on nous propose sans cesse de nouvelles méthodes pour bien vivre, bien vieillir, rester en forme à tout âge, etc. Ce sont des livres, des cours, des stages, des recettes, des régimes, des vidéos sur YouTube ou sur DVD, tous plus ou moins coûteux, la plupart recourant à des technologies plus ou moins sophistiquées, exigeant parfois des appareils, un matériel, des tenues vestimentaires adaptées… J’ajouterai que la plupart de ces méthodes ne donnent à ceux qui s’y laissent prendre que l’illusion de se battre pour rester jeune, et ce d’autant plus qu’elles auront été plus coûteuses.

Tout cela alors que, à portée de main, quelques bonnes vieilles habitudes se révèlent bien plus efficaces pour aborder et traverser l’avancée en âge avec sérénité. C’est peut-être parce qu’elles sont toutes simples, bon marché, familières que ces règles élémentaires n’ont pas la cote ; c’est gratuit, c’est donc sans valeur. On veut du nouveau, du moderne, du dernier cri, à tout prix.
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer les admirables recommandations du Dr Hoppeler – lire ici – ; je parlerai, dans un prochain Propos, des ressources et des bienfaits de la marche pour les personnes âgées ; aujourd’hui, j’aimerais m’arrêter sur une activité à la portée de chacun : la lecture.
Les bienfaits de la lecture quotidienne pour les personnes âgées
Dans les réflexions qui suivent, je veux surtout parler de la lecture des livres ; lire le journal ou un magazine ne met pas en jeu les mêmes compétences et n’apporte pas les mêmes bienfaits. En effet, le livre, par sa longueur, par sa plus grande complexité, demande une attention suivie, stimule la réflexion et la mémoire de manière prolongée alors que l’article de journal – que d’ailleurs on lit souvent en diagonale – ne sollicite qu’une attention passagère, superficielle, un effort de concentration et de mémoire restreint.
1. Mémoire et réflexion. Tout d’abord, la lecture sollicite notre mémoire de manière intense et continue. Chaque phrase ne devient pleinement compréhensible que si l’on a conservé en mémoire les phrases précédentes auxquelles elle s’enchaîne logiquement. Dans un roman, un personnage, une situation, une action ne sont intelligibles que si l’on se souvient de tout ce qui s’est passé auparavant. Dans un livre de réflexion, une idée, un développement, un argument sont clairs dans la mesure où l’on a gardé en mémoire les idées, les développements, les arguments qui les ont précédés et préparés. Bref, à tout moment, à chaque phrase, la lecture d’un livre met en action notre capacité de mémorisation. Il nous est arrivé à tous, au moment de reprendre la lecture d’un livre que nous avions fermé la veille avant de nous endormir, ou encore au cours de notre lecture, après un moment de distraction, de devoir revenir en arrière de quelques pages pour « savoir où on en était arrivé ». C’est une défaillance momentanée de notre mémoire qui a rompu le fil de notre lecture et nous a contraints à revenir sur nos pas.

En même temps que la mémoire, c’est notre capacité de réflexion qui est mise en branle par la lecture d’un livre. Des recherches scientifiques ont montré que la lecture stimule les connections neuronales, qu’elle intensifie l’activité globale du cerveau. Lire régulièrement accélère notre capacité à traiter les informations, à mettre en relation les idées, à déduire ou à concevoir de nouvelles idées. La lecture non seulement exerce notre cerveau, mais elle en active la créativité. Se souvenir et réfléchir : ce sont deux activités essentielles de notre cerveau qui sont exercées de manière intensive par la lecture d’un livre.
2. Attention et concentration. Dans notre vie de tous les jours, notre attention est sans cesse attirée, détournée par mille et un petits événements qui surviennent le plus souvent sans qu’on les ait sollicités. C’est notre téléphone portable qui ne cesse de nous transmettre des notifications plus ou moins inutiles, ce sont des écrans de toute sorte qui accapare notre regard et notre attention, ce sont des musiques et des bruits inopportuns qui, partout, se glissent dans notre oreille… Mais l’attention que nous accordons à tout cela reste brève, intermittente, superficielle ; elle laisse bientôt la place à une autre, tout aussi éphémère, et ainsi de suite au cours de notre journée.

La lecture d’un livre requiert, au contraire, une attention prolongée, soutenue, intense. Elle nous réapprend le sens d’une véritable attention à ce que nous faisons. Une attention qui, se focalisant sur un seul objet, le livre que nous tenons dans les mains, se resserrant autour d’un même sujet, d’une même histoire dans un roman, d’une même thématique dans un livre de réflexion, s’élève pour ainsi dire à une forme supérieure de concentration. Nous faisons abstraction des perturbations éventuelles qui nous entourent, nous sommes tout entier dans notre lecture, dans le monde d’idées ou dans l’histoire qui se déroulent sous nos yeux ; nous exerçons à plein notre capacité de mémoire, de réflexion, d’attention et de concentration.
C’est cette intensité de concentration qui fait dire aux spécialistes que la lecture – avec la pratique de la musique, dont je parlerai un jour – est l’un des plus puissants stimulants de notre cerveau. Les expériences ont montré que la dose minimale de lecture quotidienne devrait être de trente minutes, à chacun de l’augmenter en fonction de sa fatigue ou de la baisse de sa capacité de concentration. L’idéal est dans la régularité ; la recommandation est de faire de la lecture d’un « bon livre » une habitude à prendre et à entretenir, quotidienne si possible.
3. Contre l’anxiété et le stress. On dit assez communément que la lecture est une évasion. Et cela est vrai : la lecture a cette vertu de nous distraire de nos préoccupations quotidiennes, de nos soucis, des problèmes qui nous encombrent dans notre travail ou dans notre vie… Elle nous permet, l’espace d’un moment, d’échapper aux routines contraignantes de nos journées, de nous évader pour un instant vers d’autres mondes, de nous transporter vers d’autres pensées, d’autres vies que la nôtre, moins banales, moins routinières. Elle installe dans nos journées des moments de pause – des oasis de calme et de silence – qui nous aident à oublier le stress et l’anxiété que génère encore trop souvent notre vie trépidante.
4. Relaxation et méditation. Dans le même ordre d’idée, la lecture est une source de relaxation. Elle ralentit le rythme cardiaque, diminue la tension artérielle, apaise les contractions musculaires. Elle est d’abord, dans l’agitation de nos journées, un moment de détente, de répit, de relâchement. Une lecture agréable, qui nous raconte une histoire ou nous présente des pensées auxquelles nous adhérons pleinement et qui stimulent notre réflexion et notre esprit, peut nous amener à un état très proche de celui de la méditation. Des neuroscientifiques ont d’ailleurs observé que la lecture et la méditation activaient les mêmes zones du cerveau et produisaient les mêmes effets, apportaient les mêmes bienfaits à notre corps et à notre esprit.

5. Empathie. La lecture, et particulièrement celle des romans, conduit le lecteur à ressentir les émotions des personnages dont il suit l’histoire, à éprouver les mêmes sentiments qu’eux, pénibles ou agréables. C’est ainsi que la lecture nous conduit à nous mettre à la place des autres, qu’elle développe notre capacité d’empathie. On est dans la peau des personnages que nous suivons dans leurs épreuves, dans leurs échecs et dans leurs réussites, dans leurs moments de joie et de tristesse. Le lecteur se réjouit pour eux, ou s’afflige avec eux, il les accompagne comme on ferait un ami ou un proche. Lisez Anna Karénine, et vous verrez qu’à la fin de ce magnifique roman, lorsque Anna se jette sous le train, vous aurez l’impression de perdre une amie avec laquelle vous avez partagé toutes les joies et les épreuves d’une vie ! On sait par ailleurs que les grands lecteurs sont souvent des personnes empathiques, qui aiment le lien social, le partage, qui sont attentives à autrui.
6. Un bon sommeil. C’est un conseil que tous les spécialistes du sommeil donnent aux insomniaques : « Dans l’heure qui précède le moment d’aller vous coucher, fuyez tous les écrans, installez-vous confortablement dans votre fauteuil, sous la chaude lumière d’une lampe, prenez un livre et lisez ! » La lecture avant le sommeil – à chacun de trouver le genre de lecture qui lui est le plus agréable à ce moment-là – est apaisante, déstressante, délassante ; elle dispose à l’endormissement et prépare le corps pour un bon sommeil. La lecture d’un livre est un vrai remède naturel contre les troubles du sommeil.
7. Alzheimer. Selon les spécialistes, la lecture contribue à minimiser le risque d’Alzheimer en activant les compétences cognitives les plus importantes, comme nous l’avons vu plus haut ; elle aide à garder un esprit vif, attentif, réactif ; elle retarde l’apparition des troubles de la mémoire.
Les aides à la lecture chez les personnes âgées
Pour que la lecture demeure une activité agréable, il est bien sûr essentiel qu’elle puisse se pratiquer sans fatigue et le plus confortablement possible ; l’obstacle le plus courant à ce confort, ce sont les troubles de la vision. Et justement, on sait que 30 % des personnes âgées – et de plus en plus avec l’âge – ont des problèmes de vue : presbytie, myopie, cataracte, macula, glaucome…
La première recommandation est bien sûr d’effectuer régulièrement un contrôle ophtalmologique et de s’équiper de lunettes de qualité, adaptées précisément aux symptômes diagnostiqués. Je rappelle ici une évidence, mais combien de petits vieux n’ai-je pas vus, qui se contentaient de lunettes achetées pour dix francs dans le premier magasin venu ?
De bonnes lunettes de lecture permettent le plus souvent de retrouver un bon confort de lecture, mais si, malgré tout, des difficultés subsistaient – fatigue des yeux, maux de tête… –, des solutions de secours existent.

La bonne vieille loupe. Je ne la mentionne que pour mémoire, avec un rien de nostalgie en pensant à ces vieillards que j’ai eu l’occasion de côtoyer et qui, ouvrant leur journal, sortaient machinalement d’un tiroir une grosse loupe qu’ils promenaient sur l’article, l’œil pour ainsi dire rivé à la lentille. Mais heureusement, nous n’en sommes plus là !
Les livres en gros caractères. Pour un certain nombre de « romans à succès », il existe des versions imprimées en gros caractères et dans des typographies parfaitement lisibles. Cela peut être une solution, mais il faut savoir que la plupart des livres n’existent pas sous cette forme et que ceux qui sont disponibles sont assez chers parce qu’on ne les trouve pas en « livre de poche ». Il reste la solution de les emprunter dans les bonnes bibliothèques, qui leur réservent souvent un rayon spécial.

À propos de bibliothèque, permettez-moi une petite digression. Je ne peux que recommander aux personnes qui avancent en âge de prendre l’habitude de fréquenter celle qui se trouve à proximité de leur domicile. Non seulement elles y trouveront les livres qui peuvent les intéresser – les nouveautés comme les classiques – et cela quasiment gratuitement, mais si la bibliothèque dispose d’une salle de lecture, elles pourront s’y installer confortablement et, pourquoi pas, faire la connaissance d’autres lecteurs avec qui, à la cafétéria ou ailleurs, elles pourront engager la conversation, échanger leurs impressions de lecture… Les bibliothèques, et en particulier celles qui mettent à disposition des espaces de lectures et de rencontres, peuvent être des lieux où nouer de précieux liens sociaux.

Les liseuses. Il existe plusieurs marques de ces « tablettes » dédiées uniquement à la lecture des livres. Pour toutes les personnes dont la vision n’est plus ce qu’elle était, en dépit des lunettes de lecture, la liseuse peut se révéler la solution idéale. En effet, pour chaque livre téléchargé, il est possible de choisir la mise en page la plus agréable, les caractères les plus lisibles – que l’on peut agrandir d’un seul clic –, de régler le contraste entre la page et le texte, de définir la teinte de la page, de la plus froide à la plus chaude, bref d’obtenir le meilleur confort de lecture. Attention ! La lecture sur une liseuse n’a rien à voir avec la lecture sur un écran d’ordinateur, de tablette ou de smartphone. La lumière bleue des écrans, celle qui fatigue le plus rapidement notre œil, est complètement absente de l’écran des liseuses, grâce à des technologies qui leur sont propres. Je mentionnerai encore la légèreté des liseuses, qui peut avoir son importance pour les personnes âgées, la facilité à les tenir en main et le rétro-éclairage de la page, qui s’adapte automatiquement à la lumière ambiante. Enfin, et cela peut avoir son importance, toute la littérature « classique » – disons jusqu’au début du vingtième siècle – est accessible quasi gratuitement. Ainsi Tout Proust ou Tout Balzac coûteront à peine un franc suisse.
Les livres audios. À l’intention des personnes malvoyantes, mais aussi des personnes âgées pour qui la lecture est devenue trop difficile, trop fatigante, il existe aujourd’hui un grand nombre de livres, dans tous les genres, disponibles en audiolivres. Ce sont des livres qui sont lus à haute voix par des comédiens ou des lecteurs spécialisés, et enregistrés sur divers supports. On peut les trouver sur quelques sites Internet, sur YouTube, mais aussi dans les librairies et les bibliothèques, en CD ou au format MP3. Le téléchargement est souvent gratuit, mais je recommande vivement d’écouter d’abord un extrait – presque toujours disponible – pour s’assurer de la qualité de la lecture ! Car si la lecture à haute voix d’une œuvre littéraire permet souvent de mieux en apprécier le style, elle peut, au contraire, rendre un texte insupportable s’il est « mal lu » !

Il est important de signaler l’existence de la Bibliothèque sonore romande – BSR – qui propose un grand choix de livres audio – romans, essais, livres pratiques, etc. –, mis à disposition des lecteurs malvoyants. S’informer sur le site : www.bibliothequesonore.ch. La BSR fournit à ses abonnés l’appareil qui leur permet d’écouter et de choisir les livres très facilement. J’ajoute que beaucoup d’EMS de Suisse romande sont abonnés à la BSR et mettent ainsi ce précieux service à la disposition de leurs résidents.
D’autres manière de lire un livre
Lire dans une langue étrangère. Pour exercer ses ressources cognitives, mettre en mouvement sa mémoire, maintenir sa vivacité d’esprit, rien de mieux que de lire un livre dans une autre langue que sa langue maternelle. Si la maîtrise de la langue étrangère est vacillante, on pourra recourir à une édition bilingue, allant et venant du texte original à sa traduction sur la page d’en face. La lecture en langue étrangère met en œuvre les mêmes compétences que la lecture dans la langue maternelle, mais en intensifiant l’effort de concentration et de mémorisation. À quoi s’ajoute, si l’on prend la peine de rechercher le sens des mots inconnus dans un dictionnaire et de les mémoriser, la satisfaction d’améliorer sa maîtrise d’une autre langue.

Lire à haute voix. Avec la lecture à haute voix, ce sont d’autres circuits du cerveau qui sont sollicités. En effet, à la vision des mots sur la page et à leur compréhension, on ajoute la performance sonore qui met en œuvre les organes de la phonation. La lecture à haute voix est donc un exercice à la fois mental et physique, qui requiert une plus grande concentration du lecteur, et donc une plus intense activation des neurones.
Mais lire à haute voix prend tout son sens si le lecteur lit pour d’autres personnes. C’est alors un moment de convivialité particulièrement intense, puisque c’est tout l’univers du livre – l’intrigue et ses personnages s’il s’agit d’un roman, les faits et les idées dans une biographie, un monde de pensées dans un livre de réflexion… – que le lecteur partage avec ses auditeurs, et qui pourra ensuite donner lieu à des commentaires, des discussions, des échanges, des débats… Et il ne faudrait pas oublier la poésie, cette musique des mots qui demande presque naturellement d’être lue à haute voix.
La lecture à haute voix peut trouver sa place dans toute sorte de circonstances. Ainsi, le grand scientifique et prix Nobel Jacques Dubochet – lire ses réponses à mon Questionnaire – m’écrivait récemment que, chaque jour, après le repas de midi et au moment du café, son épouse et lui passaient une vingtaine de minutes à lire quelques pages d’un livre à haute voix, à tour de rôle. Merveilleuse idée, non ! Pourquoi ne pas l’adopter ?
Je ne veux pas oublier les malades Alzheimer qui, jusqu’à un stade modérément avancé de la maladie, aiment qu’on leur lise – mieux, qu’on leur relise – des histoires courtes, des poésies, des comptines, et en particulier celles qui leur rappellent leur passé. J’ai connu une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer qui n’écoutait jamais la lecture de La chèvre de Monsieur Seguin sans que son visage ne s’éclaire d’un grand sourire et que ses yeux n’expriment le plus parfait contentement.
Mais je connais également des malades Alzheimer qui adorent lire à haute voix pour leurs proches, leurs amis, les autres résidents de l’EMS. Ils y trouvent d’abord la satisfaction de réussir une sorte d’exploit – une petite performance cognitive – qui se présente à leurs propres yeux comme une petite victoire dans leur vie avec la maladie. Mais ils ressentent aussi le plaisir de remplir une tâche utile, de rendre un service aux autres ; ils sentent qu’ils « servent encore à quelque chose ». Ces moments intenses sont importants pour eux, ils les aident à affronter la maladie et à vivre plus sereinement avec elle.

Club de lecture. Je trouve bien regrettable que les clubs de lecture – ces Book Clubs si populaires dans les pays anglo-saxons – ne soient pas plus répandus dans notre pays. Pour les personnes qui avancent en âge et qui se retrouvent souvent dans la solitude, quels beaux moments que ces rencontres en petit groupe autour de la lecture d’un livre ! Chacun dit ce qui lui a plu dans le roman à lire cette semaine-là, ou déplu ; on approfondit ensemble la compréhension de l’histoire, des personnages… On est d’accord ou pas avec les autres lecteurs, on échange des idées, il arrive qu’on se chamaille un peu, on est heureux d’être en compagnie, en société. Et pour les personnes âgées qui n’avaient pas l’habitude de lire, quelle meilleure stimulation pour s’y mettre !

Boîte à livres. Voilà encore une belle idée ! Les livres sont assez chers, et tout le monde n’a pas l’habitude de fréquenter les bibliothèques. Pourquoi ne pas rendre une petite visite à la boîte à livres du quartier ? Ou à celle du village, ou du village voisin ? Vous y apportez les livres qui encombraient vos étagères, vous fouillez parmi ceux qui ont été déposés par d’autres personnes, vous trouvez celui qui vous intéresse, vous l’emportez ; il n’est pas impossible qu’un autre amateur s’approche, une conversation s’engage, on parle du dernier livre que l’on a lu, etc.
Arrivé à la maison, vous ouvrez le livre, découvrez, écrit à la main sur la page de garde, le nom de l’ancien propriétaire : « Tiens ! Mais je ne savais pas qu’Antoinette lisait des romans d’amour ! » Ou bien c’est une dédicace affectueuse, amoureuse : « à Jeanne, du fond du cœur », « à Paul, pour toujours ». Et ainsi va la vie autour des boîtes à livres…
Bibliothérapie. Je ne résiste pas au plaisir de vous signaler un livre unique en son genre : Remèdes littéraires. Se soigner par les livres. Les auteures, Ella Berthoud et Susan Elderkin, présentent ainsi leur livre : « Vous souffrez d’agoraphobie, de la crise de la cinquantaine, d’une jambe cassée, d’une dépression, d’un chagrin d’amour, de la peur de vieillir ou de mourir ? Sachez qu’un livre peut avoir l’effet d’un prodigieux médicament, voire vous sauver ! Vous en doutez ? Essayez plutôt… »

J’ai choisi quelques exemples, pris au hasard dans le livre : « Vous vous sentez trop souvent stressé, alors lisez L’Homme qui plantait des arbres, de Jean Giono. » Et les auteures d’expliquer, sur une page et demie, et de manière très convaincante, les raisons pour lesquelles « il est quasiment impossible de ne pas se sentir en paix en compagnie de ce berger ». Un autre exemple : « Vous avez tendance à remettre au lendemain les choses qui pourraient être faites tout de suite, vous souffrez de procrastination, alors lisez Les Vestiges du jour, de Kazuo Ishiguro. » Et les auteures concluent en douceur leur commentaire de ce très beau roman : « En procrastinant, tu autorises tes émotions négatives à faire obstacle à une vie qui sans elles serait créative et irait doucement de l’avant. » On le voit, les auteures ne se contentent pas de prescrire un livre pour tel « bobo » ; elles prennent la peine d’expliquer, souvent avec subtilité, en quoi ce livre pourra être une aide pour s’en sortir. Il y a aussi quelques listes amusantes : « Les dix meilleurs romans quand on a soixante-dix ans », ou « Les dix meilleurs romans quand on a quatre-vingts ans ». Et même quatre-vingt-dix ans !
Ma conclusion

Au-delà des prescriptions et des ordonnances que propose ce livre, je crois qu’il est juste et pertinent de parler de bibliothérapie. À tout âge, la lecture d’un bon livre – c’est-à-dire d’un livre que l’on a plaisir à lire, à retrouver comme un ami ou un camarade, à reprendre chaque jour pour passer un moment, pour être plus intimement avec soi-même, pour adoucir le cours du temps, pour élever son esprit, son intelligence, son âme – peut nous aider à vivre, à nous comprendre nous-même, à comprendre le monde et les gens autour de nous.
Et pour les personnes qui avancent en âge, la lecture peut prendre une dimension supplémentaire : elle les aide à comprendre le sens de leur vie. En relisant les livres que l’on a aimés jadis, en reprenant dans sa bibliothèque les Fables de La Fontaine, les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, Les Trois mousquetaires d’Alexandre Dumas, ou tel autre livre dévoré dans sa jeunesse, on peut favoriser la remontée des souvenirs, l’éclosion des réminiscences, les retours sur le chemin parcouru. Ces lectures accompagnent les bilans de vie, qui sont l’une des tâches de l’avancée en âge.