publié le 1.3.2019

L’héroïsme des proches aidants n’est pas sans danger

Sans nul doute, et il importe de commencer par là, le dévouement que j’ai pu observer cent fois chez un mari ou une épouse soudain confrontés à la maladie d’Alzheimer de son conjoint est d’abord le fruit de l’amour, de la solidarité, d’une générosité sans limite. Pourtant, cet héroïsme du proche à l’égard de son conjoint n’est pas sans danger. En effet, combien de ces proches n’ai-je pas rencontrés qui, à bout de force, exténués, finissent eux-mêmes par tomber malade.

Un proche aidant meurt ; un malade Alzheimer se révèle

Mais il est un cas de figure encore plus dramatique, et dont j’ai pu être témoin à maintes reprises dans mon travail. Les choses se passent à peu près ainsi. Dans un couple de personnes âgées, l’un des conjoints perd peu à peu son autonomie et la maîtrise de sa vie quotidienne : il oublie de plus en plus souvent ses clés, son porte-monnaie, les tâches qu’on lui a confiées ; il a des sautes d’humeur, des colères inhabituelles, il se montre agressif sans raison ; ou bien il est anormalement calme, apathique, se désintéresse des choses qu’il aimait. Son conjoint s’inquiète, soupçonne peut-être quelque chose de plus grave – il a entendu parler de la maladie d’Alzheimer – mais il choisit de garder cela pour lui. Dès lors il prend sur lui les tâches que son conjoint ne peut plus effectuer, prend soin de ses affaires, finit par assumer tout seul toutes les responsabilités et les tâches du ménage. Son souci est qu’on ne s’aperçoive pas de l’affaiblissement de son conjoint, qu’il tente de dissimuler même à l’entourage familial, en minimisant les choses, expliquant que c’est l’âge, la fatigue… Il vit de plus en plus en vase clos avec son conjoint malade, empêchant par là l’entourage familial de comprendre vraiment la maladie de leur parent. Et vient le jour où, épuisé, au bout du rouleau, il tombe lui-même malade, développe un cancer, fait une crise cardiaque, ou meurt subitement.

L’urgence rend difficile les bonnes décisions

Et c’est au moment de ce décès traumatisant pour tout le monde que l’entourage familial et amical doit se rendre à l’évidence : le conjoint survivant souffre de la maladie d’Alzheimer, et il se trouve déjà au stade modérément avancé. J’imagine aisément son désarroi lorsque, avec la disparition de son conjoint, il perd soudainement tous les repères qui le sécurisaient. Et l’entourage, qui découvre avec effroi que rien n’a été prévu pour la suite, doit maintenant prendre des décisions dans l’urgence, chercher des aides, envisager un placement en EMS, tout cela dans la précipitation et dans une situation de crise.

Les ravages du tabou de la maladie d’Alzheimer

Il faut maintenant essayer de comprendre ce qui s’est passé et tenter de tirer un enseignement d’un tel cas de figure, beaucoup plus fréquent que l’on pense.

A l’origine, il y a souvent le tabou qui continue à peser sur la maladie d’Alzheimer : on cherche à la cacher, à la dissimuler à l’entourage, au voisinage, et c’est ainsi que le proche – parfois avec l’accord tacite de l’entourage familial –  se met petit à petit à assumer tout seul toutes les tâches qui étaient partagées auparavant. Le couple se replie sur lui-même, vit de plus en plus en vase clos, jusqu’à ce que le pire se produise.

Les leçons d’une catastrophe

La leçon que l’on peut tirer d’un tel drame est assez facile à concevoir : si le proche, si l’entourage familial avaient solliciter toutes les aides existantes aussitôt que les troubles décrits plus haut ont commencé à se produire, s’ils avaient surmonté le tabou de la maladie d’Alzheimer qui les poussaient au secret, c’est autant le malade que son conjoint qui en auraient tiré les plus grands bénéfices. Le malade aurait été diagnostiqué alors qu’il en était encore au stade débutant de la maladie, l’accompagnement des professionnels et des proches lui aurait permis de mieux comprendre ce qui lui arrivait, de surmonter le traumatisme du diagnostic, de vivre avec la maladie dans des conditions bien meilleures et enfin de connaître, malgré la cruauté de cette épreuve, encore beaucoup de bons moments. En ce qui concerne le proche, il aurait lui aussi mieux compris la situation, aurait recouru à des aides qui auraient allégé ses tâches, aurait vécu la maladie de son conjoint avec beaucoup plus de sérénité et, finalement, aurait conservé la santé et aurait survécu.

La maladie d’Alzheimer n’est pas honteuse ; il est bénéfique pour tout le monde d’en parler ouvertement, d’accepter l’aide professionnelle et celle de la famille le plus vite possible pour qu’il n’y ait pas de révélations qui tombent soudain comme une bombe.