publié le 21.9.2019

Les médias et la maladie d’Alzheimer

Chaque année, le 21 septembre, c’est la « Journée mondiale de la maladie d’Alzheimer ». À cette occasion, la presse ne manque pas d’attirer l’attention du public sur les derniers développements de la lutte engagée depuis longtemps contre cette maladie. D’une manière plus générale, depuis quelque temps, dans tous les médias, les articles, les informations, les dossiers consacrés à la maladie d’Alzheimer se multiplient. Et, à certains égards, c’est sans doute une bonne chose.

Toutefois, en tant que gérontopsychologue en relation depuis une trentaine d’années avec les malades et leurs proches, je porte sur tous les discours qui se tiennent autour de cette maladie un regard un peu différent : celui justement des malades et de leurs proches.

Je m’arrêterai à trois thèmes souvent évoqués dans ces publications : 1. Les résultats des recherches expérimentales et l’annonce de la découverte, plus ou moins imminente, d’un médicament miracle. 2. La décision du gouvernement français de ne plus rembourser les médicaments « anti-Alzheimer ». 3. La maladie d’Alzheimer considérée comme un « mythe », une « construction sociale sur le vieillissement ». Les discours tenus à propos de ces trois thématiques m’amènent à me poser une question : comment les malades et leurs proches reçoivent-ils ces informations ?

On croit trop facilement que seuls le grand public et les proches des malades lisent ces articles ; on oublie que beaucoup de malades, au premier stade de la maladie, qui peut durer plusieurs années, sont tout à fait capables de lire et de comprendre ces informations. Ici, je voudrais corriger un cliché trop répandu : les malades Alzheimer ne tombent pas immédiatement dans un état mental où toute réflexion leur échappe ; si le diagnostic est posé assez tôt, ce que tous les professionnels préconisent, il se passe bien des années pendant lesquelles le malade est parfaitement conscient de ce qui lui arrive et cherche activement à comprendre sa situation et ce qui l’attend dans l’avenir. Durant cette période, toute nouvelle information paraissant dans les médias est pour lui source d’espoir ou d’inquiétude. Considérons de ce point de vue les trois types de discours dont j’ai parlé plus haut.

L’annonce prématurée d’un médicament miracle

S’agissant des informations liées aux recherches expérimentales menées dans les laboratoires, elles ont très souvent le défaut d’être largement prématurées (l’attrait du scoop primant sur toute autre considération). La simple lecture des titres des articles (« Bientôt un médicament contre l’Alzheimer ») suffit souvent à déclencher chez le malade et ses proches des espoirs fous que la réalité vient bientôt démentir : il faut parfois attendre une vingtaine d’années pour connaître les résultats définitifs d’une expérimentation, résultats malheureusement, et jusqu’à ce jour, toujours négatifs dans le cas de notre maladie. Cet espoir d’une pilule magique est encore renforcé chez le malade et ses proches par le fait que, depuis des décennies, nous vivons dans un monde de plus en plus médicalisé, où la solution à chaque problème de santé passe d’abord par un médicament miracle.  

Les médicaments anti-Alzheimer seraient sans effet

Simultanément à la publication de ces articles suscitant de faux espoirs bientôt anéantis par la réalité, la presse suisse a largement relayé la décision du gouvernement français de ne plus rembourser les médicaments anti-Alzheimer, ceux-ci étant jugés inefficaces. En effet, face à la passivité pour le moins étonnante du monde médical et aux intérêts des groupes pharmaceutiques, certains scientifiques n’hésitent plus à exprimer leurs doutes et leur déception devant le peu d’efficacité de ces médicaments, utilisés très largement depuis une vingtaine d’années, et qui ont de plus beaucoup d’effets secondaires parfois extrêmement dangereux. Quelle confiance les malades et leurs proches peuvent-ils encore avoir en leur médecin, lorsqu’ils lisent dans leur journal que les médicaments qu’on leur prescrit sont totalement inefficaces ? De mon point de vue, celui de la psychologue, et dans le cas de la maladie d’Alzheimer, la primauté du traitement médicamenteux s’impose trop souvent au détriment d’un véritable suivi du tandem malade/proche. Il est fort regrettable que, pour cette maladie chronique et de longue durée, nous nous contentions d’une approche médicale, et que nous n’offrions que très rarement, en Suisse, un véritable accompagnement médico-psycho-social, comme cela se pratique déjà couramment dans quelques pays.

La maladie d’Alzheimer n’existe pas

Enfin, venue des Etats-Unis, en 2008, et relayée par la presse francophone, la notion de « mythe Alzheimer » cherche à démontrer que la maladie d’Alzheimer n’existe pas, qu’elle est une « construction sociale » et qu’elle fait tout simplement partie du vieillissement normal. Le professeur Olivier Saint-Jean, dans son livre : Alzheimer. Le grand leurre, reprend partiellement cette réflexion, mais en la nuançant. Il partage l’idée que le vieillissement entraîne chez tout le monde un déclin cognitif, mais dans un certain nombre de cas, et pour des raisons mystérieuses, ce déclin devient pathologique, ce qu’on appelle communément la maladie d’Alzheimer. Toute mon expérience me montre que les troubles cognitifs progressifs et irréversibles, avec leurs conséquences dévastatrices, qui touchent un certain nombre de personnes âgées, mais également – plus rarement il est vrai – des jeunes personnes (dès la quarantaine), ne peuvent en aucune façon être considérés comme des manifestations normales du vieillissement. On conçoit aisément l’embarras, la perplexité, la souffrance du malade qui, sentant chaque jour ses capacités cognitives s’effriter, et lisant cette information dans son journal, se dit : « Mais alors, je ne suis donc pas malade, c’est seulement que je vieillis… »

Le goût du jargon

À cela il faut ajouter une autre source de confusion pour les malades et leurs proches, mais aussi pour le grand public : avec les progrès scientifiques, et le goût du jargon qui souvent les accompagnent, le terme de « maladie d’Alzheimer » est souvent remis en question et remplacé par une panoplie de termes déroutants : maladie neurodégénérative ; démence mixte ; DFT ; troubles cognitivo-mnésiques… à en perdre son latin. Loin de clarifier les choses, ces nouvelles terminologies, si elles flattent le spécialiste, ne font que semer la confusion dans l’esprit du public, des malades et de leurs proches qui ne savent plus où se situer et à quel saint se vouer.

Voir autrement la maladie d’Alzheimer : la prévention et l’accompagnement

J’aimerais pourtant terminer ce propos sur une note plus encourageante. En effet, il y a bien mieux à faire que de se laisser égarer par ces débats autour de l’efficacité de l’approche médicale-médicamenteuse, qui ne débouchent en fin de compte que sur des constats d’échec. Il importe plutôt de concentrer nos efforts dans deux directions : la prévention et l’accompagnement. Tout d’abord prôner les actions et les comportements qui peuvent limiter les risques pour tout un chacun de s’exposer un jour à cette terrible maladie. Cette prévention consiste principalement à tout faire pour maîtriser les risques cardio-vasculaires et à adopter une bonne hygiène de vie.  Quant aux malades et à leurs proches, c’est dans un suivi post-diagnostique rigoureusement mis en place qu’ils trouveront l’aide et l’accompagnement qui leur permettront d’affronter la maladie dans la durée et d’adopter un mode de vie qui pourra encore comporter de nombreux moments de joie.