publié le 15.1.2023

Les bienfaits de la sieste

La plus belle heure de la vie,
c’est l’heure de la sieste.

Grégoire Lacroix

Il y a deux périodes dans la vie où la sieste est à la fois indispensable et bienfaisante : la petite enfance et la vieillesse. Qu’entre ces deux âges de la vie, il y ait des liens mystérieux, c’est une idée vieille comme le monde ; et il y a quelque chose d’émouvant à se dire que le vieillard et le petit enfant qui font la sieste se rejoignent peut-être pour un instant au pays des songes… 

Il y a un autre moment où nous pouvons sans remord nous laisser aller à la tentation de faire une bonne sieste, c’est lorsque nous passons nos vacances sous le soleil du Sud où, comme dit le proverbe, « le soleil se lève deux fois : le matin et après la sieste ». 

Dans tous les cas, la sieste n’a rien à voir, comme on l’entend ici et là, avec la paresse ; elle se présente au contraire comme l’occasion de prendre un deuxième départ dans la journée, de s’accorder une seconde chance de faire le plein d’énergie et d’entrain.

Qu’est-ce que la sieste ?

Le mot « sieste » vient du latin sixta, qui désignait la sixième heure du jour et qui, pour les Romains, correspondait à la pause de midi. La sieste était donc un moment de repos, de répit, accompagné ou non de sommeil, et qui suivait le repas de midi.

Dans notre monde moderne, et pour la plupart des personnes engagées dans la vie active, l’habitude de faire une sieste après le repas de midi s’est presque complètement perdue. Ce n’est qu’avec l’avancée en âge – disons à partir de la cinquantaine – que l’envie, le besoin d’une petite sieste recommence à nous titiller, et de plus en plus à mesure que les années passent. 

À cela il y a plusieurs raisons. C’est d’abord la qualité du sommeil qui se détériore avec l’âge : nous dormons de moins en moins longtemps, les phases de sommeil profond se raréfient et raccourcissent, nous avons de plus en plus de moments de réveil nocturne. À quoi s’ajoutent d’autres troubles caractéristiques du sommeil, comme certaines douleurs lancinantes, les angoisses, les jambes sans repos, l’apnée du sommeil, etc. Il ne faut cependant pas confondre ces dégradations normales de la qualité de notre sommeil, contre lesquelles on peut trouver des moyens lutter, avec la véritable insomnie qui, elle, exige une consultation médicale. 

Ce sont ces dégradations de la qualité de notre sommeil, propres à l’avancée en âge, que la sieste vient en quelque sorte compenser ; sieste plus ou moins longue, plus ou moins profonde.

Il n’est peut-être pas inutile, ici, de relire un « résumé utile » qui figure dans mes Perles : « Les 14 règles pour un bon sommeil ». – Lire ici ! –

Les effets bénéfiques de la sieste

Les bienfaits de la sieste, à la fois pour le corps et pour l’esprit, varient en fonction du type de sieste, comme on le verra plus bas. Mais, pour s’en tenir d’abord à quelques généralités, on peut énumérer les effets bénéfiques suivants : la sieste contribue d’abord à notre bonne santé globale : elle dynamise notre mémoire, accroît notre vitalité, ravive notre énergie ; en outre, elle régularise notre humeur, diminue les risques de surmenage et d’épuisement ; elle développe enfin notre créativité, renforce notre concentration, clarifie notre capacité de réflexion. Qui dit mieux ? La sieste offre ainsi, au corps autant qu’à l’esprit, un moment de répit, une occasion de se ressourcer, de restaurer leurs facultés, de « recharger les batteries », pour le dire simplement. Et cela tout en joignant l’utile à l’agréable, et gratuitement !

La bonne manière de faire une sieste efficace

On placera la sieste le plus tôt possible après le repas de midi, au moment où se produit baisse de régime de l’attention et de la concentration, ce que l’on désigne souvent comme un « coup de barre ». En réalité, cette baisse de régime n’est que partiellement due à la digestion ; elle est plutôt le résultat du rythme biologique de notre corps qui passe par une phase d’affaiblissement de la vigilance au milieu de la journée. On profitera donc de ce moment d’assoupissement naturel de notre corps et de notre esprit pour faire une sieste, sachant que, si on le laisse passer, l’endormissement sera beaucoup plus difficile. Plus simplement dit, le moment idéal pour la sieste, c’est celui où on en a le plus envie !

Il convient également de choisir le lieu et l’ambiance : un endroit agréable, confortable, tranquille, à la bonne température, avec une lumière tamisée et où l’on ne sera dérangé ni par un proche, ni par le téléphone. Rien de plus néfaste – ni de plus détestable d’ailleurs – que d’être brusquement tiré de sa sieste par un intrus ou un portable strident… 

Contrairement à une idée reçue, il n’est pas interdit de boire un café ou un thé noir avant de s’étendre ; dans ce cas, le réveil coïncidera avec le moment où la caféine commencera à agir, après une vingtaine de minutes. Ainsi les effets revigorants de la sieste et ceux de la caféine se feront sentir en même temps.

Les différents types de sieste

Chacun trouvera, avec l’expérience, le type de sieste qui lui convient le mieux. Il en existe de plusieurs sortes.

Pour la compréhension de ce qui suit, il n’est pas inutile de rappeler qu’un cycle complet de sommeil passe par trois phases : le sommeil lentprofond et paradoxal. C’est pendant la phase de sommeil paradoxal que le dormeur rêve. Un cycle complet dure entre 60 et 90 minutes.

La sieste de 10 à 20 minutes. 

C’est la sieste idéale pour stimuler la vigilance et redonner de l’énergie. Cette durée limitée maintient tout au long le dormeur dans une phase de sommeil lent (ou léger), dont il est plus facile de sortir rapidement.

La sieste de 30 minutes.

Cette sieste donne accès non seulement au sommeil lent, mais aussi à des moments – plus ou moins brefs – de sommeil profond. C’est la raison pour laquelle le réveil est plus laborieux, donnant l’impression que la personne est « sonnée ». Il faut compter une trentaine de minutes après le réveil pour que les effets revigorants de la sieste se fassent sentir.

La sieste de 60 minutes.

C’est la sieste idéale pour revitaliser la mémoire et pour renforcer le pouvoir de concentration. Elle a l’inconvénient de laisser une légère somnolence après le réveil.

La sieste de 90 minutes.

C’est la sieste qui laisse se dérouler un cycle complet du sommeil : stades lent, profond, paradoxal, y compris des phases de rêve. Ce type de sieste renforce la mémoire émotionnelle et procédurale (la mémoire des automatismes, des gestes de la vie quotidienne, des réflexes), elle redynamise la créativité. Le réveil est plus facile, sans somnolence résiduelle.

Naturellement, les durées que je viens d’attribuer aux différents types de sieste peuvent varier avec les individus. Là encore, il revient à chacun de faire ses propres expériences. Trouver la sieste qui nous convient le mieux n’est pas toujours facile ; il faut parfois avoir la patience d’en expérimenter plusieurs, avant de découvrir la sieste idéale, celle qui sera dans notre journée comme un oasis de bien-être pour l’esprit et le corps.

Quand la sieste se répète et se prolonge

Il peut arriver, en avançant en âge, et surtout dans le grand âge, que la durée de la sieste s’allonge. C’est tout à fait normal. En revanche, si la durée et la fréquence des siestes dans une même journée en arrivent à gêner ou à empêcher la réalisation des tâches quotidiennes, si l’envie de fermer les yeux et de s’assoupir devient quasi permanente, il y a lieu de s’inquiéter : cette tendance à l’endormissement continuel peut être en effet un signe précoce de la maladie d’Alzheimer. Il est vrai cependant que le lien entre la sieste prolongée et répétée dans une même journée et la maladie d’Alzheimer n’est pour le moment qu’une hypothèse, fondée il est vrai sur de nombreuses observations, mais qui demande encore à être attestée scientifiquement. 

Enfin, si l’on veut aller aux extrêmes, le besoin de siestes quotidiennes, répétées et de longue durée, peut également être dû à un état douloureux chronique, à une aggravation de l’état de santé, voire à la prémonition de l’approche de la mort. D’autre part, des traitements médicamenteux lourds, comme une chimiothérapie, peuvent également être à l’origine d’un besoin accru de moments de sieste et de repos. 

Les célébrités et la sieste

Tout le monde a entendu parler d’Albert Einstein et de ses découvertes. Mais l’on sait moins que ce génie des mathématiques dormait dix heures par jour et qu’il s’accordait plusieurs moments de sieste dans la journée. Des siestes à vrai dire un peu particulières : en effet, il s’installait confortablement dans son fauteuil, prenait dans la main une cuillère de métal qu’il tenait au-dessus d’un bol posé sur le sol. Après un moment d’assoupissement, il lâchait la cuillère qui tombait dans le bol avec un bruit qui réveillait aussitôt le dormeur. De son propre aveu, ses siestes, qui duraient quelques minutes seulement, le temps de lâcher la cuillère, lui permettaient de se reposer et de rêver ; il racontait d’ailleurs que c’était dans ses rêves que lui étaient venues certaines de ses formules de physique ou de mathématiques.

Il avait également l’habitude d’alterner les moments de sieste avec des promenades dans la nature qui lui permettaient de laisser divaguer son imagination. Pour Einstein, la sieste et la marche dans la nature agissaient comme des amplificateurs de ses capacités cérébrales. C’est une erreur de penser que le grand physicien faisait ses découvertes assis à son bureau comme un fonctionnaire ; c’est, racontait le grand savant, en marchant, en rêvant et en somnolant que son esprit et son intelligence étaient les plus affûtés. 

Lorsqu’on prononce le nom de Winston Churchill, on pense d’abord à une vie toujours en mouvement, perpétuellement confrontée à l’action. En réalité, rien ne lui était plus précieux que ses habitudes quotidiennes, que la routine la plus répétitive. Et la sieste faisait partie de cette routine. Même au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, il ne renonçait sous aucun prétexte à sa sieste quotidienne de deux heures pour se reposer après chaque repas de midi. Dans son livre, The Gathering Storm, il écrivait : « La nature n’a pas conçu l’humanité pour travailler de huit heures du matin jusqu’à minuit sans lui accorder ce moment récupérateur béni ; même s’il ne dure que 20 minutes, c’est suffisant pour retrouver toutes ses forces vitales. »  

Le célèbre peintre surréaliste, Salvador Dali, avait la réputation d’être un grand insomniaque. Il dormait peu et travaillait beaucoup. Selon lui, il devait la conservation de son pouvoir créatif et imaginatif à une formule secrète : la micro-sieste, dont il avait perfectionné le mécanisme. Il en avait d’ailleurs rédigé les instructions de sa propre plume. Un peu à l’instar d’Albert Einstein, mais de manière encore plus radicale, au moment de s’installer dans son fauteuil, il prenait en main une lourde clé métallique qu’il tenait au-dessus d’une assiette de fer. À peine s’était-il assoupi que le bruit de la clé tombant dans l’assiette le tirait aussitôt de sa somnolence ; il n’avait pas eu le temps de s’endormir vraiment, et c’est justement ce qu’il cherchait : non pas dormir, mais éveiller sa créativité et son imagination. La méthode de Dali rappelle le gong de réveil chez les Orientaux : lorsque la méditation glisse vers l’endormissement, le bruit sourd, lentement déclinant, du gong ramène progressivement la personne à un éveil revitalisé.

Quant à Léonard de Vinci, il avait mis au point un système de siestes particulier. Durant la nuit, il ne dormait jamais plus de quatre heures et, pendant les vingt heures qui restaient, il s’accordait toutes les quatre heures une sieste de vingt minutes. Pour ce génie universel, c’était la meilleure façon de conserver sa créativité.

J’ai tenu à présenter ces quatre manières différentes de concevoir la sieste afin de rappeler une chose importante : la sieste, qui est pour les personnes qui avancent en âge un moment important de la journée, sera d’autant plus profitable que chacun aura trouvé pour soi-même le moment, la manière et la durée qui lui correspondent le mieux. On pourrait tirer de ces différents exemples une sorte de mot d’ordre : à chacun de partir à la recherche de sa sieste idéale ! La trouver et la mettre en pratique tous les jours, pour les personnes qui avancent en âge, c’est l’un des secrets d’une qualité de vie. 

La sieste de Victor Hugo

Pourquoi ne pas donner une conclusion poétique à ces quelques réflexions sur la sieste ? L’immortel auteur des Misérables et de Notre-Dame de Paris était lui aussi un fervent adepte de la sieste, qu’il pratiquait très régulièrement. Devenu grand-père, et après la mort de son fils Charles, c’est lui qui s’est occupé de ses deux petits-enfants, Georges et Jeanne. Il trouvait cette expérience si enrichissante qu’il en a tiré un recueil de poèmes bien connu : L’Art d’être grand-père, qui est une merveille que je recommande à tous mes lecteurs. (Éditions Fayard, Collection 1001 nuits, 5 euros)

Aujourd’hui, j’en retiendrai un poème, intitulé « La Sieste », dans lequel le poète assiste à la sieste de la petite Jeanne, la suit dans son sommeil, imagine les rêves et les pensées qui l’agitent, évoque les anges et la nature qui veillent sur elle, montre enfin sa mère qui l’accueille à son réveil.

Jeanne endormie. La Sieste

Elle fait au milieu du jour son petit somme ; 
Car l’enfant a besoin du rêve plus que l’homme, 
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel ! 
L’enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel, 
Ses camarades, Puck, Titania, les fées, 
Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées. 
Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions, 
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons, 
Ces paradis ouverts dans l’ombre, et ces passages 
D’étoiles qui font signe aux enfants d’être sages, 
Ces apparitions, ces éblouissements ! 
Donc, à l’heure où les feux du soleil sont calmants, 
Quand toute la nature écoute et se recueille, 
Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille 
La plus tremblante oublie un instant de frémir, 
Jeanne a cette habitude aimable de dormir ; 
Et la mère un moment respire et se repose, 
Car on se lasse, même à servir une rose. 
Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr 
Dorment ; et son berceau, qu’entoure un vague azur 
Ainsi qu’une auréole entoure une immortelle, 
Semble un nuage fait avec de la dentelle ;
On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là, 
Voir une lueur rose au fond d’un falbala ; 
On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse, 
Et c’est un astre, ayant de plus la petitesse ; 
L’ombre, amoureuse d’elle, a l’air de l’adorer ; 
Le vent retient son souffle et n’ose respirer. 
Soudain, dans l’humble et chaste alcôve maternelle, 
Versant tout le matin qu’elle a dans sa prunelle, 
Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant, 
Agite un pied, puis l’autre, et, si divinement 
Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre, 
Elle gazouille… – Alors, de sa voix la plus tendre, 
Couvrant des yeux l’enfant que Dieu fait rayonner, 
Cherchant le plus doux nom qu’elle puisse donner 
À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère :
– Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.

Conclusion

On le voit, la sieste n’est pas seulement un moment de répit que l’on s’accorde après le repas de midi, elle peut faire partie d’un art de vivre dans lequel la traversée de la journée passe par l’oasis bienfaisant et délicieux d’un petit somme, ou d’une méridienne, comme on disait si joliment jadis.