Les maladies ne sont que les conséquences de nos habitudes de vie.
Hippocrate
(460 – 370 av. J.-C.)
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais lorsque je me retrouve sur le seuil d’une nouvelle année, et après un bref regard rétrospectif sur l’année écoulée, je ressens toujours l’envie de prendre de bonnes résolutions pour les mois qui viennent. Je viens de franchir le cap de la soixantaine et j’aimerais assez acquérir quelques bonnes habitudes qui me permettront de rester vaillante et en bonne santé pendant les vingt ou trente prochaines années ! De bonnes habitudes, de bonnes résolutions, c’est bien joli, mais lesquelles ?
Je pourrais m’inscrire à un de ces centres de fitness où, chaque semaine, j’irais exercer mes muscles et assouplir mes articulations. Et si je décidais de perdre quelques kilos, disons cinq ! À moins que je m’initie à la nourriture végétarienne, et même, soyons fou, végane ! Et si j’ai des doutes à propos de ma capacité à l’autodiscipline, je pourrais m’offrir l’aide d’un coach personnel qui me prescrirait des règles, des exercices, et qui me surveillerait de près. Je pourrais aussi me tourner vers la médecine esthétique adaptée aux seniors : quelques rides gommées, les paupières retouchées, des bourrelets liposucés ; ne serait-ce pas là le meilleur moyen de faire la nique au vieillissement ? Mais tout cela est bien compliqué, et je ne suis pas sûre que je réussirais à mettre en œuvre, et encore moins à respecter toutes ces bonnes résolutions… Je n’oublie pas non plus que ce n’est pas la première fois que je franchis le seuil d’une année nouvelle avec plein ma besace de bonnes résolutions qui se sont envolées dans le vent…
Et si, tout simplement, je m’en tenais aux « Dix règles de santé pour senior » du bon Dr Hoppeler ?
Le Dr Hans Hoppeler, celui qui avait tout compris
Ce nom ne vous dit rien ? Vite, une petite notice biographique. Hans Hoppeler est né en 1879 à Zurich, où il est décédé en 1945. Il a exercé la profession de « médecin de famille » – c’était l’époque bénie où cette formule voulait dire que le médecin faisait quasiment partie de la famille – pendant toute sa carrière. Il a publié de nombreux ouvrages et articles touchant à la médecine populaire – l’une de ses grandes préoccupations – et en particulier à la santé des seniors.
Mais il est temps maintenant d’en venir à ces fameuses « Règles de santé pour senior », que le Dr Hoppeler a publiées pour la première fois en 1922 ; cela fait exactement un siècle. Les voici, dans leur intégralité. Je me permettrai, çà et là, quelques petits commentaires de mon cru.
Les dix règles de santé pour senior du Dr Hans Hoppeler
1. Corrige ta vue défaillante avec des verres que le médecin te prescrira.
Beaucoup de petits vieux peinent ou tardent à adapter leurs lunettes lorsque leur vue vient à baisser, sans parler de ceux qui se contentent de lunettes à 5 francs achetés à la Migros. Avec le temps, ils en sont réduits à ne lire du journal que les titres des articles, finissent par renoncer à toute lecture ; s’ils déchiffrent péniblement les messages sur leur portable, ils se montrent incapables d’y répondre ; le monde autour d’eux se perd peu à peu dans une sorte de brume. Et si des problèmes de cataracte s’en mêlent, ils repoussent l’opération, finissent parfois par y renoncer. Alors que de bonnes lunettes, une opération somme toute banale leur permettraient de renouer le contact avec le monde qui, lentement, s’éloignait d’eux. J’ai souvent observé, chez des personnes âgées, que ce renoncement à une bonne vue était un premier pas vers des renoncements plus profonds, plus définitifs.
2. Si ton ouïe baisse, ne te retranche pas de la société, ne te soustrais pas à tes amis tel un individu méfiant, renfrogné et timide, mais supporte courageusement ce désagrément que ton entourage tentera sans doute d’adoucir le mieux possible.
Une baisse d’ouïe non corrigée, comme une vue défaillante, contribuent à enfermer le petit vieux dans un monde de privation et d’isolement, à l’éloigner des choses et des êtres qui l’entourent. La vue et l’ouïe ne sont-elles pas nos sens les plus précieux, ceux qui nous relient le plus fermement au monde dans lequel nous vivons ? Les laisser se dégrader sans réagir, n’est-ce pas déjà un peu renoncer à vivre ?
3. Le travail et le mouvement, ces deux piliers de la santé, ne les oublie pas dans la vieillesse. Ils stimulent l’activité cardiaque et le métabolisme, ouvrent l’appétit et chassent les idées noires. Certes, cela ne devra pas être un travail pénible !
Pourquoi ne pas faire un petit inventaire des activités et des mouvements à la portée de tous : aller à la poste ou faire ses courses à pied, renoncer une fois par jour à l’ascenseur et prendre les escaliers, faire une petite trempette à la piscine voisine, et le plus simple : une petite balade quotidienne de 30 minutes dans la nature… Pour certains, il y aura encore un jardin à entretenir, des petits-enfants à garder…
4. S’accorder suffisamment de repos est aussi important que s’activer. À Noël, fais-toi offrir un confortable fauteuil pour la sieste et veille à bien dormir la nuit.
De ces règles 3 et 4, je retiendrai la nécessité, pour les seniors, d’un équilibre pas toujours facile à trouver entre deux excès : une passivité et une oisiveté poussées à l’extrême, une sorte de renoncement à vivre prématuré d’une part ; et une activité surabondante d’autre part, qui n’est bien souvent qu’une manière de refuser de vieillir : « Regardez, les années n’ont pas de prise sur moi, aucune tâche n’est au-dessus de mes forces ! » Savoir faire leur part à l’activité et au repos, c’est un secret de l’art de bien vieillir.
Quant au sommeil, il est important de se rappeler que les besoins en sommeil changent dans le grand âge, soit qu’ils augmentent ou qu’ils diminuent, selon les personnes. Il revient à chacun de s’observer et de se faire une idée plus ou moins précise des heures de sommeil quotidiennes nécessaires. Mais si le sommeil se met à vous fuir, si un réel problème d’insomnie s’installe, il faut savoir que les répercussions sur la santé peuvent être très graves. Il importe alors de réagir et de consulter le médecin. Des recherches scientifiques récentes ont démontré qu’il existe un lien entre l’insomnie chronique et l’apparition de la maladie d’Alzheimer.
5. Compense la diminution de la production de chaleur de ton organisme en t’habillant plus chaudement et en rajoutant une bûche sur le feu.
Il n’y a rien de gênant, encore moins de honteux, à garder sa petite laine, même si le temps s’est adouci et que le reste de la famille est en chemise à courtes manches ou en t-shirt. Plus on vieillit, plus le corps a tendance à se refroidir (circulation sanguine moins efficace, moins de mouvements…). La décision du petit vieux ou de la petite vieille qui, pour rester au diapason de ses proches, se force à sortir dans le jardin ou en promenade sans sa jaquette, n’est jamais une bonne idée : en toute circonstance, il convient d’accepter pleinement d’être ce que l’on est, sans se soucier du regard des autres. J’ai envie de garder ma petite laine, je le fais, et je m’en porte bien !
6. Sois aussi régulier que possible dans ton mode de vie.
Se lever et se coucher à la même heure, prendre trois repas à heure fixe, faire chaque jour sa petite « tournée électorale » dans le quartier à la rencontre des connaissances : c’est tout cela qui donne un rythme à vos journées et, en fin de compte, à votre vie. Car le rythme, c’est la vie même.
7. Soigne tes dents aussi bien qu’au jour de ta jeunesse. Une rangée de dents impeccables dans un noble visage marqué par l’âge, quoi de plus beau ? Et qu’importe si parmi ces dents il y a une « étrangère », ou même si toutes sont artificielles ; ce qui compte, c’est l’hygiène et la bonne tenue de ta dentition.
Une mauvaise dentition non seulement est inesthétique et dommageable pour l’estime de soi, mais surtout elle gâte l’un des plaisirs les plus durable de la vie, la bonne chère. De plus, le vieillard édenté aura tendance à se rabattre sur les mêmes petits mets faciles à avaler et qui, petit à petit, lui fourniront une alimentation déséquilibrée et débilitante. Plus généralement, et si l’on est soucieux du visage que l’on présente aux autres, des cheveux mal entretenus, coiffés à la diable, une barbe irrégulière et disgracieuse qui fait fuir les petits-enfants, ou chez la vieille grand-maman des poils repoussants, voilà autant de relâchements, de négligences qui finissent par dénaturer un visage, l’enlaidir, et contre lesquels il convient de lutter. On devrait même étendre ces remarques à tout le corps : rien de plus désolant que de voir une vieille personne dans une tenue négligée, une robe ou un costume défraîchis, tachés, une tenue inadaptée à l’âge ? Et quoi de plus réjouissant qu’un petit vieux ou une petite vieille vêtus avec goût, élégance, restés soucieux d’une certaine dignité attachée au choix d’une tenue soignée ?
8. Modère-toi ! Un corps jeune a des forces en réserve. S’il arrive que le jeune mange, boit et fume trop ou se livre à quelque autre abus, il peut puiser dans ses réserves pour réduire le dommage ou le réparer. Chez le vieillard, il en est autrement. Son réservoir d’énergie a diminué et il doit maintenant gérer ses forces avec économie. Le vin, la bière et le cidre doivent être goûtés pour ce qu’ils sont, des produits de luxe et non des aliments – aussi à l’automne de la vie.
9. Porte ton âge avec fierté ! On assiste aujourd’hui à une lutte désespérée contre les cheveux gris, la peau flétrie et autres « cernes annuels de croissance ». L’industrie cosmétique est finaude ; elle vend mille crèmes et petits pots à prix d’or tout en riant sous cape – car elle sait bien que tout cela ne sert à rien. Le printemps est-il la seule belle saison ? L’été et l’automne ne le sont-ils pas autant ? Et même l’hiver ? Ce que l’âge ne doit pas nous empêcher de faire : soigner notre apparence et nous vêtir décemment. Nous n’attiferons pas la maison de colifichets pour cacher sa façade vétuste, mais nous n’allons pas non plus la laisser se délabrer telle une masure. Car cette maison abrite nos souvenirs, nos expériences de vie et nos aspirations. C’est pourquoi nous l’aimons telle qu’elle est, que nous sommes heureux derrière ses persiennes passées et sa façade défraîchie dont nous n’avons nulle honte.
Comment dire mieux cette nécessité d’accepter son âge avec fierté et bienveillance, sans chercher à se rajeunir artificiellement, mais sans pour autant renoncer à prendre soin de la façade ? Cette neuvième règle reflète une profonde philosophie de l’âge et de la vieillesse sur laquelle je ne peux qu’inviter mes lecteurs à se pencher avec toute l’attention nécessaire. C’est le propre des pensées profondes : on a le sentiment qu’on n’en épuisera jamais toute la richesse !
10. Garde ta vivacité d’esprit et ne laisse pas ton intérêt pour ton entourage et les grands enjeux de l’humanité s’assoupir. La perte de la mémoire est une plainte récurrente du vieil âge. Ne le prends pas au tragique. La principale fonction de la raison, à un âge avancé, n’est pas de se souvenir du passé mais de penser ; exerce-toi donc à la pensée, par la lecture, l’écoute de discours intéressants, des contacts sociaux animés. Demeure en empathie avec les jeunes. Et surtout, ne te renfrogne pas, ne te retire pas dans ta coquille ! Certes, à ton âge, il serait insensé de se disperser et de s’intéresser à mille et une choses à la fois, car le besoin de repos augmente. À côté de tes activités et de ta vie sociale, n’oublie pas de cultiver les moments de quiétude et de recueillement intérieur qui ressourcent et apaisent l’âme.
Je retiendrai surtout, dans ce merveilleux paragraphe, l’idée que l’on ne doit pas s’alarmer de perdre un peu la mémoire, que c’est normal, que cela est le résultat naturel du vieillissement du cerveau. L’essentiel n’est pas là, c’est la capacité à penser, à réfléchir qu’il convient d’exercer sans relâche. Il est donc inutile de vouloir remuscler sa mémoire, comme le proposent des méthodes à la mode qui veulent entraîner la mémoire comme s’il s’agissait d’un muscle, et cela bien sûr sans aucun résultat. Ce qu’il est important de maintenir en activité le plus longtemps possible, d’exercer en toute circonstance, c’est sa raison, par la réflexion, la pensée, la méditation…
Parmi toutes les personnes âgées, et même très âgées, que j’ai l’occasion de connaître dans mon métier, je suis toujours frappée par celles qui ont gardé intactes leur curiosité des êtres et des choses, leur envie de réfléchir sur les événements qui se passent, de débattre avec leurs amis des problèmes du monde et de la vie ; ce sont ces personnes, à l’esprit toujours ouvert, toujours « questionneur », que je vois avancer dans le grand âge avec le plus de facilité et de vaillance. Et cela même si leur mémoire leur joue plus ou moins souvent de mauvais tours !
Pourquoi nous rechignons à suivre le Dr Hoppeler
Tout est dit, dans ces recommandations, et que pourrions-nous encore y ajouter ? Elles rejoignent et confirment d’ailleurs ce que des médecins, comme Hippocrate, avaient déjà découvert il y a 2’500 ans. Rien de nouveau sous le soleil, et surtout pas les « méthodes anti-âge » que des charlatans essaient de nous vendre en les enrobant de promesses mirobolantes.
Mais alors une question se pose : pourquoi la plupart d’entre nous sont-ils incapables de suivre ces règles si élémentaires et qui sont à la portée de tous ? Et cela d’autant plus que leur efficacité est attestée par les plus récentes recherches scientifiques. Selon des spécialistes des maladies de la vieillesse, 75 % des pathologies de l’âge pourraient être évitées, si des habitudes préventives toutes simples, comme celles que recommande le Dr Hoppeler, étaient adoptées dès la cinquantaine.
L’une des explications principales à notre négligence à l’égard de la prévention vient sans doute de la confiance souvent excessive que nous mettons dans les progrès de la médecine. Nous nous disons que les médecins sauront nous tirer d’affaire si une maladie grave nous tombe dessus. Nous ne doutons pas un instant que des médicaments et des opérations nous mettront à l’abri du pire. Notre confiance en la médecine ressemble souvent à une croyance magique, à une soumission quelque peu aveugle au prestige de la science. (On pense au Dr Knock et à l’emprise qu’il réussit à exercer sur toute la population de son canton, dans la fameuse comédie de Jules Romains.) Quoi qu’il en soit, ne serait-il pas plus sage, et plus simple, de commencer par mettre en œuvre quelques-unes des attitudes préventives recommandées par le Dr Hoppeler ?
Mais justement, c’est peut-être parce que ces règles sont simples et ne coûtent rien qu’elles nous paraissent peu sérieuses. Nous vivons dans une époque où seules les choses complexes et chères nous rassurent ! Un vélo électrique onéreux, un cross trainer d’appartement qui mesure les pulsations cardiaques, la tension, les calories brûlées (et même l’âge du capitaine), et que sais-je d’autre encore : voilà qui impressionne bien davantage qu’une marche en forêt, une baignade à la piscine, quelques exercices de gymnastique douce…
Vous avez peut-être envie d’imprimer ces recommandations du Dr Hoppeler et de les épingler dans un coin de votre cuisine ; je les ai mises en page spécialement pour vous et vous les trouverez ici.
Ma conclusion
Ce qui me plaît particulièrement dans les règles du Dr Hoppeler, c’est la vision, l’image de la vieillesse qu’elles véhiculent. Non pas une vieillesse qui se plaint, qui geint, qui se voit comme un naufrage, pour reprendre le mot du général de Gaulle, mais au contraire une vieillesse qui va de l’avant, qui sait s’accomoder avec bonne humeur des « ralentissements de la machine », capable de savourer les joies et les bonheurs les plus simples, de se retourner avec plaisir sur le chemin parcouru, désireuse de le prolonger le plus longtemps possible. L’automne de la vie, et même son hiver, sont des saisons qui ont aussi leurs promesses, peut-être moins spectaculaires que le printemps ou l’été, mais qui valent la peine qu’on les nourrisse et qu’on les entretienne.